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Un découpage d’EDF pourrait devenir inévitable


lundi 11 janvier 2010

L'Etat français a toujours défendu l'intégrité du groupe EDF. Mais l'envolée de la dette d'EDF pourrait conduire à la vente d'actifs importants. Un haut cadre du secteur de l'énergie lance un pavé dans la mare.


Francis Legrand est le pseudonyme d’un cadre supérieur travaillant dans le secteur de l’énergie.

Le gouvernement français est-il schizophrène ? Alors qu’il est attaché depuis les débuts de la libéralisation du marché de l’électricité au maintien du caractère intégré du groupe EDF, l’Etat actionnaire, par ses décisions ou ses non décisions, rend pourtant le scénario du découpage de l’opérateur historique de plus en plus plausible.

Défenseur acharné du maintien de la propriété des réseaux de transport par l’opérateur historique, la le gouvernement français a réussi à éviter l’obligation de séparation patrimoniale des activités de transport que prônait Bruxelles dans son troisième paquet énergie. Mais l’Etat actionnaire, en fermant les yeux sur certaines acquisitions à l’étranger jugées hasardeuses par nombre d’observateurs (Constellation aux Etats Unis et British Energy… de quoi réveiller le souvenir des aventures Roussely en Argentine), a laissé filer la dette d’EDF. Malgré un réveil soudain début novembre 2009, l’Etat a finalement avalisé la décision, rendant crédibles les scénarios de déconsolidation par la vente d’actifs tel que RTE ou l’ouverture accrue du capital.

Pierre Briançon, dans Le Monde du 2 novembre dernier, s’était fait cinglant : «Le gouvernement français semble décidé à prouver par l'absurde qu'il est urgent de privatiser EDF : c'est l'interprétation la plus indulgente qu'on peut donner aux bavures à répétition dont l'Etat actionnaire se rend coupable de longue date vis-à-vis du géant français de l'électricité. La tradition est ancienne : les représentants de l'Etat au conseil d'administration du groupe approuvent tout ce que leur soumet le PDG du moment, et s'affirment surpris, et même choqués, quand les ratages deviennent impossibles à dissimuler.  Aujourd'hui, le gouvernement envisage gaillardement d'approuver le principe d'un coup d'arrêt aux ambitions américaines d'EDF - dix mois à peine après les avoir au contraire encouragées.»

Ces bavures remettent la déconsolidation à l’ordre du jour, solution politiquement plus gérable qu’une ouverture accrue du capital. Comme d’habitude, on commence par solder à l’étranger : vente des réseaux de distribution détenus par EDF Energy au Royaume-Uni, cession de la filiale de commercialisation d’EDF en Espagne, … . En ce qui concerne la France, les regards se portent sur RTE, filiale à 100 % d’EDF. Evoquée dès 2004 par le ministre de l’industrie, la vente du RTE, dont la rentabilité de père de famille résulte des décisions du régulateur, est une arlésienne… mais pourrait rapporter près de 11 milliards à EDF (montant de la base d’actifs régulés). Une bagatelle qui pourrait ne pas laisser longtemps indifférent le nouveau patron d’EDF, malgré ses dénégations, d’autant que RTE resterait dans le giron public (sous la forme d’un EPIC, avec une probable montée au capital de la Caisse des Dépôts), comme l’oblige la loi.

Mais le découpage d’EDF ne passe pas uniquement par la cession des actifs de transport ou de distribution. Il pourrait concerner le parc nucléaire d’EDF. Ce scénario de ventilation des actifs nucléaires entre plusieurs entités, souvent évoqué, jamais envisagé (la Commission Champsaur sur le marché de l’électricité a récemment exclu cette option), est revenu récemment alimenté les bruits de couloirs. Et certains atermoiements récents du Gouvernement ajoutent de l’eau au moulin. Dans une lettre adressée en septembre 2009 à Nellie Kroes, alors Commissaire en charge de la concurrence, le Premier ministre, pressé par l’épée de Damoclès des procédures contentieuses concernant les tarifs réglementés de vente d’électricité et le fameux TaRTAM, s’est en effet engagé à présenter une réforme de l’organisation du marché de l’électricité avant la fin 2009, pour une application progressive au 1er juillet 2010. Cette réforme, acceptée par Bruxelles et faisant suite aux recommandations de la Commission Champsaur, a pour but de permettre aux fournisseurs alternatifs de concurrencer EDF, tout en conservant l’avantage prix conféré par le parc nucléaire français. Pour ce faire, le Premier Ministre a annoncé que la réforme donnerait aux fournisseurs alternatifs «un droit d’accès à la production électrique de base d’EDF (accès régulé à la base, mis en œuvre sous l’égide de la CRE), aux conditions économiques du parc nucléaire historique, en fonction de leur portefeuille prévisionnel de clients en France, dans des conditions équivalentes à celles dont dispose EDF».

Mais depuis ces échanges épistolaires de septembre, rien à l’horizon. Tout au plus François Fillon y a fait allusion, lors d’un discours à Flamanville le 26 novembre 2009, en soulignant que «EDF devra se mettre en position de relever le défi de la concurrence en proposant une offre au meilleur prix, alors que se profile en 2010 une nouvelle organisation des marchés de l’électricité».

Exaspérée par ces promesses de Gascon, la Commission européenne pourrait prendre la mouche. Il se murmure que, après avoir menacé en vain d’accélérer les procédures contentieuses en cours concernant les tarifs administrés, Bruxelles pourrait agiter l’épouvantail du découpage du parc nucléaire d’EDF.

Avant que la moutarde ne monte à ce point au nez de Bruxelles, le Gouvernement français finira-t-il par mettre en œuvre la nouvelle organisation du marché de l’électricité ? Rien n’est moins sûr, d’autant plus qu’il pourrait encore réécrire la copie de sa réforme face à l’opposition frontale de M. Proglio… qu’il vient d’adouber. Vous avez dit schizophrène ?


2 commentaire(s)
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Commentaire par Seck
lundi 11 janvier 2010 09:33
Tout cela est bien joli mais parlons chiffre :

Endettement d'EDF depuis 2002, en pourcentage du CA :

2002 : 240%
2003 : 120%
2004 : 150%
2005 : 90%
2006 : 60%
2008 : ~40%

S'il est vrai que le taux d'endettement a dû augmenté en 2009 (les chiffres officiels ne sont pas sortis), on est loin des taux d'endettement de 2005 et avant. Je vous laisse en déduire le crédit qu'on peut apporter aux conclusions de privatisation d'EDF pour résorber la dette...
[2]
Commentaire par alrog
lundi 11 janvier 2010 10:29
Bruxelles n'a jamais demandé ni même conseillé une très choquante et dangereuse privatisatisation le réseau de transport. Celui-ci reste public dans de nombreux pays avec un marché totalement ouvert. Il est déjà en partie privatisé en France, puisque filiale d'une SA. A cet égard, la France est "ultra-libérale"!

Il est intenable à terme que RTE qui doit être indépendant des producteurs reste une filiale de EDF. La solution de bon sens serait donc de (re)nationaliser RTE. A contrario, on voit mal marché ouvert avec un producteur ayant plus de 30% la production.

En jouant la montre et bottant en touche depuis 1996, les gouvernants français ont joué un jeu dangereux: pas de visibilité pour les investisseurs, bombe à retardement au niveau des prix, etc. Mais peut-on fermer son marché et vouloir conquérir le monde?

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