Par Chloé Depigny
- Consultante chez SIA-Conseil
Terres rares : un blanc seing donné à la Chine
Par Chloé Depigny
- Consultante chez SIA-Conseil
vendredi 27 janvier 2012
Les pays occidentaux ont été bien imprudents : ils ont laissé la Chine verrouiller le marché de ces éléments essentiels pour les nouvelles technologies. La situation peut être redressée, mais il faudra du temps.
Utilisées dans le craquage du pétrole, les alliages métalliques, le polissage du verre, mais surtout dans de nombreuses technologies stratégiques comme les éoliennes, les voitures électriques et tous les équipements électroniques miniaturisés (smartphones, ordinateurs portables...), les terres rares constituent aujourd'hui un enjeu crucial pour de nombreux états et industries.
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L'offre pour ces minerais a la particularité de s'être reposée depuis plusieurs années sur un seul pays, la Chine, assurant plus de 95% de l'approvisionnement mondial. En effet, la subvention massive des activités minières menée par Pékin dans les années 1990 a permis aux exploitants du pays de vendre leurs lanthanides (*), à perte, à des prix de l'ordre de 5% de ceux pratiqués par les autres états producteurs. L'Inde, le Brésil, l'Australie, la Malaisie et les Etats-Unis qui fournissaient alors la majeure partie des terres rares échangées sur le marché mondial se sont ainsi vus contraints de fermer leurs mines, faisant de la Chine le leader mondial et incontesté de la filière.
C'est dans ce contexte que les taux de production de terres rares se sont envolés, doublés une fois entre 1990 et 1995 et de nouveau depuis. Mais cette augmentation de la production n'a pas profité de la même façon à tout le monde en raison d'un sévère durcissement des quotas d'exportations par Pékin. Ceux-ci ont en effet provoqué l'écroulement de l'approvisionnement à l'extérieur de la Chine depuis le début des années 2000.
La rencontre de l'offre et de la demande en terres rares en dehors de la Chine s'est ainsi considérablement tendue au cours des dernières années, jusqu'à connaître ses premiers déficits en 2010, avec un manque culminant à 14% de la production mondiale.
Redémarrage possible, mais ce sera long
Les pays occidentaux assument aujourd'hui les conséquences de vingt ans de négligence, durant lesquels ils ont sciemment laissé à la Chine la tâche de les approvisionner en terres rares, profitant ainsi de prix plus qu'attractifs et évitant tout dommage à l'environnement sur leur territoire.
Toutefois, les réactions aux premiers manques ne se sont pas faites attendre. Une centaine de projets miniers a vu le jour à travers le monde et plusieurs nouvelles mines situées en dehors de Chine pourraient entrer en production dans les prochaines années, et venir ainsi rééquilibrer l'offre. Cela a déjà été le cas cette année pour les sites de Mountain Pass aux Etats-Unis (Californie) et de Mount Weld en Australie, mais les délais entre l'étude de faisabilité et le début de la production sont longs, notamment en raison des difficultés rencontrées par les acteurs pour obtenir les nombreux permis d'exploitation nécessaires. La production étrangère ne sera donc pas suffisante pour compenser les restrictions chinoises avant plusieurs années.
De nombreux gouvernements comme les Etats-Unis, le Japon ou l'Union Européenne ont mené des analyses pour déterminer les matériaux critiques devant être visés par des mesures de protection et de sécurisation. L'Europe a ainsi lancé en 2008 l'initiative « matières premières » (ou Raw Material Initiative) dont le but est de préserver la compétitivité de la région en assurant un accès sûr et non déformé aux matériaux. Or toutes ces études ont identifié les terres rares comme le groupe le plus menacé, avec parmi elles différents niveaux de risques. Ainsi les éléments dont la criticité économique est la plus élevée sont des terres rares dites « lourdes » (le dysprosium, le terbium, l'yttrium et l'europium) ainsi que le néodyme.
Les menaces au niveau de l'approvisionnement en lanthanides sont donc réelles à court et moyen terme. Cependant, il n'y a pas de risque avéré sur le long terme car les ressources sont suffisantes pour satisfaire la consommation mondiale annuelle. Ainsi l'approvisionnement en terres rares pourra être assuré sur plusieurs centaines d'années si suffisamment de mines sont ouvertes, ce qui devrait être le cas si les investissements actuels sont maintenus.
(*) Les lanthanides sont les 15 éléments chimiques ayant un numéro atomique compris entre 57 et 71. Ajoutés au scandium et à l'yttrium, ils forment le groupe des terres rares. Le terme de lanthanides est par conséquent souvent utilisé pour désigner ce groupe de métaux.