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Auteur
Thierry Badouard, 31 ans, est étudiant en master 2 d'Economie, Energie et Développement durable, à l'université Pierre Mendès-France à Grenoble.

Quand tarification de l’électricité rime avec efficacité


vendredi 23 mars 2012

Une tarification progressive de l'électricité paraît une condition nécessaire pour inciter à la sobriété énergétique. Cet article a remporté le 4eme prix au concours "Génération Energies" organisé par "la chaîne Energie", SIA-Conseil et RTE.


Alors que la majorité des ressources énergétiques sont encore fossiles, donc en stocks finis, le prix du kWh électrique demeure décroissant lorsque notre consommation augmente. Qu'il s'agisse des collectivités publiques, des entreprises ou des particuliers, nous amortissons le coût de notre abonnement au fil de notre consommation : plus nous consommons, moins le prix du dernier kWh consommé est élevé. Comment donc inciter à la sobriété énergétique autrement qu'en révisant notre modèle tarifaire ?



Pour une tarification progressive


Recommandation première du Conseil Mondial pour l'Energie dans son rapport sur l'efficacité énergétique, l'instauration de prix incitatifs constitue un facteur essentiel de la rationalisation de la consommation énergétique. A ce jour, les tarifs réglementés français, fixés à des niveaux relativement bas, envoient un signal prix incohérent, puisque quelles que soit les quantités consommées, celui-ci reste identique. Pourtant, l'utilisation croissante du réseau électrique fait augmenter le coût du kWh, notamment lors de la pointe. Sans signal prix incitatif en direction des consommateurs, ceux-ci ne sont pas encouragés à maitriser leur consommation et retardent donc leurs investissements d'efficacité énergétique.

Afin d'inverser cette tendance, l'introduction de prix croissants du kWh correspond à la nécessité de comportements plus éco-responsables. Par l'instauration de la tarification progressive, le système retrouve sa cohérence économique et environnementale. Déjà déployée en Californie, au Japon ou encore au Mexique, la tarification par tranche de consommation dissuade l'utilisation non efficace de l'électricité, tout en finançant l'accès à l'énergie pour les ménages les plus pauvres1.

Les clients peuvent ainsi subvenir à leurs besoins vitaux (éclairage, chauffage...) à des tarifs très accessibles, puis au fur et à mesure de leur consommation, pour des usages moins essentiels, les prix augmentent par pallier. L'accès aux services fondamentaux des plus modestes est ainsi subventionné par les ménages plus aisés2 à travers des tarifs plus élevés pour des usages non-essentiels comme peuvent l'être l'usage celui d'un jacuzzi, l'utilisation d'un sèche-linge en été, etc. Le principe de « bonus-malus » écologique appliqué aux prix de l'électricité récompense donc les usages rationnels de l'énergie et sanctionne les gaspillages, de telle sorte que les conduites énergivores se réduisent.


6% de réduction des consommations dès la première année


Expérimenté depuis 1980 en Californie, le système de tarification progressive, initialement composé de deux tranches, s'est révélé être un franc succès. En effet, la consommation moyenne des californiens est aujourd'hui presque deux fois inférieure à celle des américains pris dans leur ensemble. Doté de trois tranches supplémentaires en 2001, le système a contribué à la maitrise de la demande électrique et a permis une moindre sollicitation des réseaux électriques, réduisant ainsi les montants d'investissement dans l'infrastructure.


















Source : US Energy Information Agency et US Census Bureau.


Un tel système permet donc la réorientation des flux financiers initialement destinés au réseau vers l'efficacité énergétique. De même, les ménages sont encouragés à se détourner des équipements fortement consommateurs, comme le chauffage électrique, ce qui participe à l'écrêtement de la pointe. Il en résulte un moindre recours aux centrales thermiques, grosses émettrices de gaz à effet de serre. En définitive, une étude du Brattle Group, estime à 6% la réduction des consommations l'année suivant l'implémentation d'une tarification progressive et jusqu'à 18% sur plus long terme3.


De la bonne appropriation de la tarification progressive de l'électricité


Comme pour tout dispositif innovant, son succès dépend fortement de son appropriation par tous. Si les jeunes générations, soucieuses de diminuer leur empreinte carbone, sont enclines à s'en saisir rapidement, son adoption par le plus grand nombre repose sur deux piliers.
La simplicité constitue le premier. En effet, le dispositif doit être facile à comprendre, c'est pourquoi il doit comporter seulement trois tranches tarifaires et leur évolution dans le temps doit être clairement définie à l'avance : les premières tranches doivent être indexées sur l'inflation pour garantir aux ménages un confort de vie convenable. Et, comme en Californie, la tranche supérieure augmente au fur et à mesure que les investissements sont réalisés et que les consommateurs prennent pleine possession du mécanisme.
















Source :
www.pge.com.

La transparence de l'information donnée aux consommateurs est le second pilier. Lors du passage des tarifs réglementés fixes aux tarifs progressifs, les fournisseurs devront préalablement fournir à leurs clients des éléments de facturation leur permettant de comparer les deux modèles tarifaires, afin que ces derniers puissent anticiper et faire évoluer leur mode de consommation. Une fois le système déployé, les fournisseurs devront informer en temps réel les consommateurs du passage d'une tranche à une autre (via email ou SMS) en s'appuyant sur les relevés de consommation réelle effectués par Linky, le compteur communiquant d'ERDF.


Enfin, l'application de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) en pourcentage du prix d'acheminement est souhaitable pour lever les fonds indispensables à la rénovation thermique des logements des ménages les plus démunis.


Outil de justice sociale et environnementale, les atouts principaux de la tarification progressive sont sa simplicité de mise en œuvre, son efficacité prouvée et son faible coût, car seul le calibrage du modèle requiert des ressources spécifiques. L'approche coûts / bénéfices plaide donc pour une implémentation rapide du système.


Sources:
  • Ahmad Faruqui, « Inclining Toward Efficiency », August 2008, Public Utilities Fortnightly.
  • Severin Borenstein, « The redistributional impact of non-linear electricity pricing », April 2011, Energy Institute at Haas.
  • « La faisabilité de l'instauration d'une tarification progressive de l'électricité en Belgique », Commission de Régulation de l'Electricité et du Gaz Belge, 10 juin 2010.
  • « Efficacité énergétique : la recette pour réussir », 2010, Conseil Mondial de l'Energie.
  • Ahmad Faruqui, « The Ethics of Dynamic Pricing », July 2010, Vol. 23, Issue 6
  • The Brattle Group, « Rethinking Rate Design », California Public Utilities Commission, 7 septembre 2007
  • Insee, cinquante ans de consommation en France, 2009.
  • «  Electric design basics », Division of ratepayer advocates, August 2011.
  • « Payer plus cher son électricité quand on consomme beaucoup », Nicolas Goldberg, La chaine de l'énergie, L'expansion, 24 février 2010.
  • « Le concept du pollueur-payeur appliqué à l'électricité », Nicolas Goldberg, La chaine de l'énergie, L'expansion, 24 février 2010.
  • « La précarité énergétique, un frein à une politique tarifaire vertueuse en matière d'économie d'énergie », Stéphane Meunier et Géraldine Lapiche, La chaine de l'énergie, L'expansion, 9 juin 2011.
1 L'étude du modèle de tarification progressive californien montre que la tarification progressive permet une réduction de 17% de la facture électrique pour les 20% des ménages les plus pauvres alors que celle des 20% les plus riches augmente parallèlement de 15%. Severin Borenstein, « The redistributional impact of non-linear electricity pricing », April 2011, Energy Institute at Haas.
2 L'enquête Insee de 2009 sur la consommation des français montrent que les consommations électriques augmentent avec le niveau de vie. Insee, cinquante ans de consommation en France, 2009, p 119.
3 Ahmad Faruqui, « Inclining toward efficiency », August 2008, Public Utilities Fortnightly, p26.
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10 commentaire(s)
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Commentaire par carlino
vendredi 23 mars 2012 18:20
Il faudrait commencer par camoufler les prix de l'abonnement dans le prix du KWH ...car plus on consomme plus on amorti toutes les parties fixes de la facture EDF ! un non sens .
quand a ce que vous dite " l'utilisation croissante du réseau électrique fait augmenter le coût du kWh, notamment lors de la pointe " moi je crois que c'est surtout le photovoltaïque dont la production est vendu a prix d'or et l'éolien ...particulièrement les futures parcs offshores qui vont produire de 1 % a 70 % de leur puissance et vont justement nécessiter des nouvelles lignes a trés haute tension pour évacuer les pointes de vent !!!! plus des nouvelles centrales thermiques qui fonctionneront au ralenti en attente des anti cyclones ou de la tombée de la nuit !!! pas trés performant tout ça !!!!! des machines qui tournent peu et de façon irrégulières ça coûte trés chers ...tout chefs d'Entreprises et gestionnaires le savent !
[2]
Commentaire par Gépé001
samedi 24 mars 2012 08:03
Pourquoi changer les tarifs?Celui en usage a de nombreux avantages qu'il est difficile d'exposer ici.Pour réduire la consommation,il faut mettre une taxe sur l'énergie et une allocation pour les basses tranches des revenus.D'autre part,il faut bien séparer l'énergie produite et l'énergie importée.On en revient à la notion de taxe carbone.Cet article mérite une analyse plus détaillée.Bravo à son auteur!
[3]
Commentaire par Hervé
samedi 24 mars 2012 20:14
Rappelons juste à l'auteur que dans la vie il n'y a pas que l'électricité. Si on doit commencer par augmenter qq chose faudrait d'abord penser au gaz qui est actuellement vendu bien moins cher. Et que dire du bois... A moins que votre véritable objectif soit justement de favoriser le Gaz... ou le déboisement du pays...
[4]
Commentaire par Gépé001
dimanche 25 mars 2012 08:38
réponse à Hervé:la difficulté est justement d'établir une correspondance entre les différentes formes d'énergie:énergie utile et pour quel usage.Mais la base de la tarification n'est pas la même:pour le gaz,c'est le prix du pétrole,pour l'électricité,c'est le cout marginal.C'est au niveau de cette référence au cout marginal que se situe la réflexion;c'est très complexe,et l'auteur de cet article aborde un gros problème.
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Commentaire par alain38
lundi 26 mars 2012 11:00
Je trouve ce système, pensé par des technocrates "verts", complexe inutile et injuste.
Complexe à mettre en oeuvre car comment ajuster les tranches en fonction de chaque usager ? Pour inciter, non pas à se serrer la ceinture mais à éviter le gaspi, il faudrait que la tranche supérieure soit juste un peu en dessous de la consommation moyenne de chacun. Donc que l'on adapte les tranches à chaque usager, quelle usine à gaz et que de contestations en perspective !!
Inutile car les tarifications Heures Creuses/ Heures Pleines et autres EJP ou tarifs bleu/blanc rouge actuels incitent déjà chacun à moins consommer en période de pointe.
Enfin et surtout, injuste et antisocial ; c'est une incitation par "le bâton" (payer plus cher les kWh qui apportent du confort de vie) au lieu de le faire par "la carotte" (par ex. crédit d'impôt pour l'isolation comme cela a été déjà pratiqué). A ce régime, seuls les ménages aisés, qui ont les moyens d'investir dans l'isolation ou les moyens de chauffage performants, tireront profit du dispositif. Les autres, les plus démunis qui sont en incapacité d'investir, devront renoncer à bien se chauffer ou utiliseront des moyens palliatifs (poêle à bois le plus souvent) qui sont les pires en matière de sécurité et de protection de l'environnement.
Finalement, si EDF sera tenu de suivre les injonctions de l'Etat, le fournisseurs privés tireront profit de la situation en n'appliquant pas le système.
[6]
Commentaire par gezardyt
lundi 26 mars 2012 15:36
Il y a des gens qui ont tout électrique chez eux par rapport a ceux qui ont la cuisson le chauffage et l'ecs au gaz sans parler de ceux qui ont du fiuol .Ainsi donc ceux qui ont tout électrique serront fortement pénalisé par rapport a ceux qui ne le sont pas sans pour autant qu'ils vivent dans un super confort.L'auteur parle de pic avec émission de co2 alors qu'en se tournant vers le fioul ou le gaz,on consommera plus d'énergie fossile en produisant beaucoup plus de co2!Comparer le conso de la Californie avec le reste des USA est stupide.Les hivers californiens sont trés doux comparés aux hivers des états du nord du pays .Allez vivre à Chicago voire à New York pour savoir ce qu'est une facture de chauffage .C'est article est tout en surface et n'amene rien au probleme tarifaire,d'ailleurs plus on consomme et plus l'abonnement est cher ce qui est deja une pénalité
[7]
Commentaire par Hervé
lundi 26 mars 2012 21:23
@Gépé001
Oui bien sur, mais cela dit, l'auteur commence son article en disant qu'il faut augmenter le tarif de l'électricité pour appeler à la sobriété énergétique. Je lui fait juste remarquer que pour le moment, le gaz de ville est l'energie la mois chère qui favorise le plus les passoires... De plus, comme le signale gezardyt, augmenter l'électricité reviendrait à faire migrer la conso vers les fossiles, ce qui n'est pas une excellente idée dans le contexte actuel et futur.

Par ailleurs, 100% d'accord avec alain38, c'est les plus modestes qui vont encore trinquer...
[8]
Commentaire par BERNARDAIN
dimanche 01 avril 2012 06:27
Entièrement d'accord avec Hervé et Alain38
Beaucoup de sottises dans cet article
Je suis écolo, j'agis localement sans faire de politique car j'en ai ras la casquette de ces pseudos écolos de bazar qui ne comprennent rien, qui jacassent et théorisent tout et n'importe quoi, pourvu qu'ils puissent repeindre en vert leurs idées rouges
[9]
Commentaire par Thierry
dimanche 01 avril 2012 18:24
Bonjour,

je suis l'auteur du texte. Merci pour vos commentaires auxquels je vais essayer de répondre.

1. Mon article ne dit pas qu’il faut augmenter les tarifs de l’électricité mais qu'il faut revoir son modèle de tarification.

2. Il est évident que si les tarifs électriques sont désincitatifs, le gaz deviendra une énergie de refuge. Dans ce cas, il n’est pas exclu non plus d'appliquer le même système au gaz. De manière générale, la mesure tarifaire développée n’a pas vocation à répondre à tous les maux énergétiques du pays mais à amener les consommateurs à se questionner sur les usages qu’ils font de l’énergie, notamment parce que les énergies fossiles vont se faire de plus en plus rares et convoitées.

3. Comme l'a démontré Borenstein (1ère référence de mon article), la tarification progressive a un effet redistributif. Ce sont essentiellement les ménages du premier quintile qui voient leur facture augmenter pendant que celle du dernier quintile diminuent. Ce ne sont donc pas les plus pauvres qui "trinquent". Toutefois, il est vrai que les ménages vivant dans des "passoires énergétiques" doivent être soutenus dans leurs travaux d'isolation de leur logement. A ce sujet, on peut s’inspirer de la politique d’aide à l’isolation menée par l’agglomération grenobloise qui s'avèrent un véritable succès.
[10]
Commentaire par Thierry
dimanche 01 avril 2012 18:24
4. Concernant les ménages au tout électrique, c'est vrai que cela pose problème mais il ne faut pas envisager une mise en place brutale de ce nouveau type de tarification. Il est tout à fait possible que, pendant x mois avant le passage à cette nouvelle grille tarifaire, nos factures simulent le montant que nous devrions payer avec ce modèle. De cette manière, les ménages pourraient anticiper et faire évoluer leur comportement.

5. La comparaison entre les consommations résidentielles californiennes et américaines me parait avoir du sens puisqu’on s’intéresse à leurs évolutions dans le temps et non de façon statique.

6. Concernant « carotte » plutôt que le « bâton », l’expérience montre que les mesures incitatives sont moins efficaces que les mesures coercitives.

7. A propos du coût des EnR, il me semble que c’est un autre débat. L’objet de mon article est plus de jouer sur la demande que sur la production, même si je comprends bien que les deux sont liés.

Merci de vos commentaires. Je serai heureux de lire les prochains.
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Auteur
Thierry Badouard, 31 ans, est étudiant en master 2 d'Economie, Energie et Développement durable, à l'université Pierre Mendès-France à Grenoble.

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