Par Bernard Veyret
Auteur
Ingénieur physicien ESPCI, Docteur ès Sciences, directeur de recherche au CNRS au sein du laboratoire de Physique des Interactions Ondes-Matières, à l’Ecole Nationale Supérieure de Chimie et de Physique...
Lignes à haute tension : une incertitude par rapport à la leucémie infantile
Par Bernard Veyret
dimanche 08 mars 2009
Des études scientifiques ont relevé il y a quelques années une association possible entre l'exposition aux champs électromagnétiques et la leucémie infantile. Bernard Veyret explique
Les projets de lignes électriques à haute tension – comme celles du Cotentin –suscitent des inquiétudes quant à d'éventuels risques électro-magnétiques. Vous aviez participé en 2004 à un rapport remis aux autorités sanitaires. Quels sont les risques réels ?
Le rapport de 2004 citait ce qu’on appelle une « association statistique » entre l’exposition à des champs magnétiques d’extrêmement basse fréquence (dits EBF) et une maladie, la leucémie de l’enfant. Depuis, on n’a pas pu établir de « relation causale », c’est-à-dire qu’on ne peut pas affirmer que l’exposition a pour effet de provoquer la maladie ou de l’aggraver.
La méthode épidémiologique qui était utilisée est très classique ; c’est ce qu’on appelle les études « cas / témoins », comparant les malades aux biens portants. Dans le cas qui nous occupe, en regroupant neuf ou dix études différentes – chaque étude prise individuellement n’étant pas probante – on avait relevé un doublement du risque de leucémie chez les enfants exposés à plus de 0,3 ou 0,4 microteslas[1] en moyenne sur une journée. C’est pour cela que le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer) a classé en 2002 les champs magnétiques EBF dans la catégorie 2B des "cancérigènes possibles", ce qui traduit à la fois la possibilité d’une dangerosité et l'absence de certitude. On n'a pas noté d'incertitude sur d'autres maladies.
Qu’est ce que cela signifie en nombre de cas ?
La France compte chaque année environ 450 nouveaux cas de leucémie chez l’enfant de moins de 15 ans. S’il y a effectivement une relation causale, on pourrait attribuer quelques cas par an à l’exposition aux champs, et donc moins d’un décès par an en tenant compte du taux de guérison. C’est bien sûr terrible pour les familles concernées, mais on ne peut pas parler de problème majeur de santé publique.
L’exposition à des champs est-elle imputable seulement à la proximité des lignes à haute tension ?
Non. Les sources d’exposition peuvent être des équipements collectifs (transformateurs, lignes basse tension dans les rues, alimentation des trains ou métros, des immeubles collectifs, éclairage public) ou privés (appareils domestiquees, couvertures chauffantes). On estime que les lignes à haute tension, dans la plupart des pays européens, contribuent pour environ 20% de ces expositions.
En France, entre 0,5 et 1% de la population est exposée à des champs de plus de 0,3-0,4 microteslas. Dans d’autres pays plus densément peuplés, comme la Hollande, la proportion pourrait être un peu plus forte.
Mais que se passe-t-il pour ceux qui habitent tout près d’une ligne à haute tension ?
Oui, le taux s'élève si vous prenez les gens qui habitent dans un couloir de 100 m de large autour des lignes à haute tension. Dans une publication récente, les auteurs montrent que la probabilité qu’une habitation soit exposée à un champ magnétique de 0,4 microteslas approche 20 % quand elle est située dans un tel couloir autour d’une ligne 220-400 kV .
Est-ce que l’enfouissement des lignes atténue les champs ?
Si l'on passe juste dessous une ligne à haute tension ou juste au dessus de la même ligne enterrée, on a la même valeur de champ magnétique. Mais c’est la largeur du couloir d’influence des champs qui devient inférieure dans le cas des lignes enterrées.
Que pensez-vous de l’"enquête citoyenne"récente du CRIIREM faite auprès de populations vivant près de lignes dans le Cotentin ?
Le CRIIREM est une association qui n’a pas les moyens techniques et scientifiques de mener de telles études. Des mesures plus rigoureuses sont faites actuellement par d’autres organismes pour déterminer les sources de champs les plus forts dans les maisons et autour des lignes. Une étude de RTE[2] et de l’Inserm est actuellement réalisée pour chercher la corrélation éventuelle entre distance aux lignes et leucémie de l’enfant. Les résultats seront connus dans un an environ (voir document RTE).
Votre laboratoire poursuit-il ses études sur les EBF?
Nous avons recentrée notre activité sur des thèmes plus théoriques. En ce moment, dans le monde, il n’y a plus beaucoup de recherches dans ce domaine des effets biologiques des champs EBF, car le financement est presque tari. Même s'il n'y avait pas cette contrainte financière, je ne suis pas sûr qu’on trouve un jour une réponse à cette question de la relation entre exposition et leucémie infantile.
L’OMS a pourtant invité les gouvernements à prendre des précautions et à procéder à des mises en garde (voir document) …
Oui, car on peut toujours prendre des mesures de précaution, de réglementation sur les constructions autour des lignes, etc. pour diminuer l’exposition et donc le risque. L’OMS dit ainsi que « lorsqu’on construit de nouvelles installations et que l’on conçoit de nouveaux équipements, y compris des appareils, il convient d’explorer les méthodes permettant de réduire les expositions à bas coût". Mais l'OMS n'a pas jugé justifiées des politiques systématiques d’adoption de limites d’exposition arbitrairement faibles. Le coût des opérations qui consisteraient à réduire les champs au niveau de 0,3-0,4 microteslas serait astronomique à l’échelle de la France.
[1] sous une ligne HT on mesure jusqu’à 30 microteslas et le champ magnétique terrestre, statique, est de 50 microteslas.
[2] Réseau de Transport d’Electricité, filiale d'EDF
Vous dites dans un paragraphe;
"Une étude de RTE[2] et de l’Inserm est actuellement réalisée pour chercher la corrélation éventuelle entre distance aux lignes et leucémie de l’enfant. Les résultats seront connus dans un an environ"
(voir document RTE).
Serait-il possible d'en savoir plus sur cette étude et la date des résultats?
Merci et bien cordialement
Christian ROUX
[Réponse de l'auteur]
Voici les références pour ce projet : http://ifr69.vjf.inserm.fr/~webu170/cancer%20enfants.htm Environnement et cancers de l’enfant – Utilisation de données géographiques à petite échelle Investigateurs principaux : Jacqueline Clavel et Denis Hémon Projet : L’objectif de ce projet est d’étudier de façon systématique le rôle dans les cancers de l'enfant, de plusieurs expositions environnementales estimées par géocodage. Le projet porte notamment sur le trafic routier, les lignes à haute tension,les stations-service, et les sites industriels classés Seveso. L'étude porte sur les adresses au diagnostic de tous les cas enregistrés de 1990 à 2004 par le Registre National des Hémopathies malignes de l'Enfant) et de 2000 à 2004 par le Registre National des Tumeurs Solides de l'Enfant sur le territoire français métropolitain. Selon les situations, nous utiliserons une approche cas-témoins ou une approche écologique. Collaborations : Géocible, INERIS, INRETS, RTE Financement : EDF, ANR