Auteur
Pierre-Alban Vilain, 23 ans, est élève de l'Ecole Polytechnique
La nécessité d’une sobriété énergétique
jeudi 21 février 2013
La transition énergétique ne relève pas uniquement de technique, mais aussi de comportement des citoyens. Mais cela ne signifie pas le retour à la bougie...
Pierre-Alban Vilain, 23 ans, est élève à l'Ecole Polytechnique.
Souvent mal perçue parce qu'elle fait appel à de nouveaux comportements, la sobriété énergétique n'est pas synonyme d'un retour à la bougie. La sobriété sensibilise au gaspillage et limite ainsi les besoins du consommateur. Mises en avant comme "le point de départ" de la transition écologique par François Hollande [1], efficacité et sobriété énergétiques vont de pair pour réduire nos consommations. Alors que l'efficacité améliore la performance avec laquelle un but est atteint, la sobriété énergétique agit directement au niveau de ces buts. A titre d'exemple, pour le chauffage, l'isolation relève de l'efficacité tandis que diminuer la température de chauffage de 24°C à 20°C relève de la sobriété [2] [3]. Lumière sur ce comportement individuel nécessaire pour une transition énergétique réussie.
Sortir de l'ébriété énergétique
Notre consommation actuelle d'énergie est excessive si nous entendons que notre monde soit durable. Cette assertion est justifiée par l'amenuisement des ressources fossiles (qui représentent plus de la moitié de la consommation actuelle française [4]), par les bouleversements climatiques et environnementaux et par la convergence attendue du niveau de vie des pays en voie de développement vers le nôtre [5].
Ce constat est confirmé par de nombreuses études, dont celle du Stockholm Resilience Center qui a été publiée en 2009 dans la revue Nature et expose un modèle de "limitations planétaires" (note 1). Les limitations de la planète représentées sur la figure ci-après sont neuf seuils que l'activité humaine -et l'énergie en premier lieu- doit respecter pour éviter un changement environnemental abrupt et irréversible [6]. En jaune figure l'état actuel de notre planète alors que le seuil qui assure l'équilibre de l'écosystème terrestre est délimité par les contours de la Terre. Le niveau atteint par le changement climatique, conséquent aux émissions de gaz à effet de serre, doit être considéré comme alarmant. Un tel niveau de consommation met en cause la capacité des générations futures à assurer leurs besoins.
Une planète à bout de souffle.
Source : Stockholm Resilience Center [6]
L'insuffisance de l'efficacité énergétique
L'efficacité énergétique a été le premier levier d'action pour responsabiliser le consommateur et l'inciter à diminuer ses besoins. En 2005 a été établie la Directive européenne 2005/32/CE, rendant visible les performances écologiques et l'efficacité énergétique des appareils consommateurs d'énergie [7]. Aussi appelée Directive Éco-conception, cette loi a eu des effets inattendus : l'efficacité des produits ménagers, notamment des am-poules, a significativement augmenté, au-delà des prévisions de l'époque [8].
Néanmoins, une étude britannique (note 2) réalisée en 2011 et consacrée à l'efficacité énergétique des appareils domestiques montre que les effets d'une efficacité accrue sont partiellement compensés par des appareils plus nombreux, plus puissants et au final plus énergivores. Les machines à laver par exemple sont plus efficaces, mais elles sont plus volumineuses, avec plus d'options et donc plus consommatrices qu'auparavant. Cette étude, intitulée The elephant in the living room, met aussi en garde contre la multiplication des gadgets électroniques et appareils informatiques dont la consommation électrique a explosé entre 1990 et 2009 [8].
En économie, ce phénomène s'appelle l'effet rebond et il constitue une objection classique à l'amélioration de l'efficacité. Pour l'énergie, le postulat de Khazzoom-Brookes énonce que, paradoxalement, "l'amélioration de l'efficacité énergétique pourrait augmenter la consommation d'énergie plutôt que de la diminuer" (note 3) [9]. Autrement dit, si une ressource est disponible à moindre frais, sa consommation va s'ajuster à la hausse et de nouvelles opportunités d'utilisations dans d'autres procédés ou technologies vont se développer.
Cette théorie contre-intuitive s'applique à d'autres domaines. Prenons l'évolution des émissions de dioxyde carbone des voitures particulières entre 1990 et 2007 en France. Si la consommation moyenne de carburant par voyageur et kilomètre a diminué de 12%, les bénéfices ont été largement annulés par un parc automobile plus important et des distances parcourues plus longues [10].
Facteurs d'évolution des émissions de CO2 des voitures particulières des ménages entre 1990 et 2007.
Source : Service de l'observation et des statistiques [10]
Le consommateur est l'acteur de la sobriété
Au final, parce que le consommateur dispose de biens plus puissants, parce qu'il est plus exigeant pour sa climatisation ou son chauffage, parce qu'il consomme plus de produits parfois inutiles ; de nombreux problèmes environnementaux et énergétiques demeurent aujourd'hui irrésolus. La situation appelle donc à une modification des pratiques du consommateur. Celui-ci a un rôle central puisque c'est à lui qu'il incombe par exemple de réduire la cadence de renouvellement de ses produits et d'éviter le gaspillage ou le superflu.
La transition énergétique ne relève ainsi pas uniquement de technique, mais aussi de comportement. Il convient de sensibiliser aux excès et un cadre légal devrait être mis en place pour inciter à la sobriété. Si la participation des consommateurs est difficilement acquise par les campagnes de communication, une autre solution radicale, envisagée en Grande-Bretagne, consisterait à rationner l'énergie [11]. Dans ce scénario, tous les consommateurs se voient créditer d'un quota échangeable (note 4) d'électricité, de gaz et de carburant ; le volume total de quotas étant fixé par l'Etat et diminué d'année en année. Ce système a l'avantage d'être équitable -puisqu'il garantit le même droit de consommation à chacun, de s'adapter à la rareté des ressources et de garantir les objectifs de réduction d'émission de gaz à effet de serre.
NOTES
1. "Planetary boundaries" en version originale.
2. La Grande-Bretagne est ici citée en exemple parce que des données tangibles existent et parce que la directive européenne s'y est aussi appliquée.
3. "Energy efficiency improvements might increase, rather than decrease energy consumption" dans le texte original.
4. "Tradable Energy Quotas" dans le rapport original.
SOURCES
[1] Ministère de l'Ecologie et du Développement Durable, «Feuille de route pour la transition écologique,» septembre 2012. [En ligne]. Disponible: http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Feuille_de_Route_pour_la_Transition_Ecologique.pdf.
[2] Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie, «L'énergie en France: état des lieux et perspective,» juillet 2012. [En ligne]. Disponible: http://www.agissons.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/guide_ademe_energie_en_france.pdf.
[3] Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l'Homme, «L'énergie c'est mon choix,» 2010. [En ligne]. Disponible: http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/Feuille_de_Route_pour_la_Transition_Ecologique.pdf.
[4] International Energy Agency, «Share of total primary supply in 2009,» 2011. [En ligne]. Disponible: http://www.iea.org/stats/pdf_graphs/FRTPESPI.pdf.
[5] J.-M. JANCOVICI, «A quoi ressemblerait un monde "énergétiquement vertueux" ?,» avril 2000. [En ligne]. Disponible: http://www.manicore.com/documentation/sobriete.html.
[6] Stockholm Resilience Center, «Planetary boundaries,» 2009. [En ligne]. Disponible: http://www.stockholmresilience.org/21/research/research-programmes/planetary-boundaries.html.
[7] Union Européenne, «Écoconception pour les appareils consommateurs d'énergie,» octobre 2008. [En ligne]. Disponible: http://europa.eu/legislation_summaries/other/l32037_fr.htm.
[8] The Energy Saving Trust, «The elephant in the living room: how our appliances and gadgets are trampling the green dream,» avril 2011. [En ligne]. Disponible: http://www.energysavingtrust.org.uk/Publications2/Corporate/Research-and-insights/The-elephant-in-the-living-room.
[9] International Association for Energy Economics, The Energy Journal, 1992.
[10] Service de l'observation et des statistiques, «CO2 et activités économiques de la France,» août 2010. [En ligne]. Disponible: http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/ED27.pdf.
[11] House of Commons - Parliamentary Group on Peak Oil, «TEQs : A policy framework for peak oil and climate change,» 2011. [En ligne]. Disponible: http://www.teqs.net/.
[12] Centre d'analyse stratégique, «Pour une consommation durable,» janvier 2011. [En ligne]. Disponible: http://www.utopies.com/IMG/pdf/Consodurable_26janvier11h40_couv-2.pdf.
Plus d'actualités
6 commentaire(s)
[1]
Commentaire par brmomo
jeudi 21 février 2013 15:52
article très intéressant. il y a à mon avis un point qui mériterait d'être étalé c'est le choc souvent frontal de cette nécessaire sobriété énergétique où autre avec une civilisation qui s'effondre sans consommation. par exemple
"réduire la cadence de renouvellement de ses produits...." VS la pratique évidente et généralisée actuelle de l obscolescence programmée.
Signaler un contenu abusif
[2]
Commentaire par Gépé001
vendredi 22 février 2013 07:34
Pour modifier les comportements,rien n'est plus efficace que le prix.Le juste prix peut être obtenu par une taxe sur l'énergie,et si le produit de cette taxe est utilisé pour financer les retraites,cela réduirait le cout du travail,donc les prix des produits hors énergie,ce qui maintiendrait le pouvoir d'achat.Cette idée devrait être développée.
Signaler un contenu abusif
[3]
Commentaire par jo73
vendredi 22 février 2013 09:30
On peut tout imaginer mais Il ne faut jamais oublier les valeurs fondamentales de notre société comme la liberté individuelle et ne pas tomber dans une société dirigiste avec des quotas qui s'apparentent aux fameux tickets de rationnement d'une époque heureusement révolue.
Un signal prix reste efficace pour autant qu'il soit accompagné de mesures sociales. Il faut "simplement" avoir le courage politique de le mettre en place.
Signaler un contenu abusif
[4]
Commentaire par Gépé001
vendredi 22 février 2013 17:24
Réponse à jo73:dans mon projet,la mesure sociale envisagée correspond à une allocation universelle dont le montant est récupéré sur l'impot sur le revenu pour ceux qui sont assujettis à cet impot.Il y a également d'autres mesures à respecter.Il faut en discuter.
Signaler un contenu abusif
[5]
Commentaire par Hyppolite
lundi 25 février 2013 14:48
Faire converger toutes ces références et théories vers l'idée unique que le consommateur est le principal responsable de l'inefficacité est un peu rapide.
Le thème du concours, en mentionnant le terme de brochure commerciale "consomm'acteur", pousse probablement vers cette vision un peu naïve.
Signaler un contenu abusif
[6]
Commentaire par Christophe
mercredi 27 février 2013 15:55
"La technique moderne peut être économe en matière d?énergie, elle laisse la porte ouverte à différentes options politiques. Si, au contraire, une société se prononce pour une forte consommation d?énergie, alors elle sera obligatoirement dominée dans sa structure par la technocratie et, sous l?étiquette capitaliste ou socialiste, cela deviendra pareillement intolérable." Ivan Illich (Énergie et équité, 1973)
Signaler un contenu abusif