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Dominique Maillard : le projet de boucle euro-méditerranéenne
Par Newsteam
lundi 20 octobre 2008
Dans une interview à European Energy Review, Dominique Maillard, président de RTE (Réseau de Transport de l'Electricité) fait le point sur le projet de boucle électrique méditerranéenne, relancé par le récent sommet de l'UPM à Paris.
RTE, engagé comme tous les autres transporteurs d’énergie électrique de l’UE dans la libéralisation et l’unification du marché européen, met aussi en avant l’importance d’une ouverture des réseaux vers la rive sud de la Méditerranée, avec la mise en place d’une « boucle électrique méditerranéenne ». Que représente cette « boucle » ?
Tous les pays européens, y compris la péninsule balkanique, donc au delà de l’Union européenne à 27, sont maintenant interconnectés. Je vous rappelle que c’est un mouvement qui vient de loin : dès février 1951, avant même la communauté du charbon et de l’acier, avant le Traité de Rome, les électriciens européens avaient créé l’UCTE (Union pour la coordination du transport de l’électricité), qui veille encore au bon fonctionnement du réseau interconnecté (1). La technique avait donc précédé le politique.
L’enjeu maintenant est de réaliser l’interconnexion avec les voisins du sud de la Méditerranée, pour former une « boucle méditerranéenne ». D’une part avec la Turquie, d’autre part avec deux autres ensembles, Maroc-Tunisie-Algérie, déjà interconnectés depuis une dizaine d’années via l’Espagne, et Libye-Egypte-Jordanie-Syrie. Rappelons par ailleurs que dès 2003, la commissaire européenne Mme Loyola de Palacio avait réussi à réunir les ministres israélien et palestinien pour travailler à l’interconnexion.
Au total, 8000 km, d’Istanbul à Gibraltar. Peut-être la technique précédera-t-elle là aussi le politique, qui vient d’être lancé spectaculairement au sommet de l’UPM à paris, à la mi-juillet.
Quels sont les horizons de réalisation ?
Horizon 2010 pour la Turquie. La liaison avec la Grèce est finie, nous en sommes aux réglages de fréquence, et un premier test est prévu en 2009.
Pour le reste, c’est un peu plus compliqué. Le bloc du Maghreb et la Libye ont des infrastructures un peu faibles. En cas d’incidents provoquant de grosses variations de flux, il y aurait un risque de déséquilibre entre l’Europe et l’Egypte, qui est un gros producteur. Il faut renforcer les réseaux de ces quatre pays ou parvenir à limiter les variations de flux par diverses techniques. Disons, horizon 2011-2012.
Donc, en trois-quatre ans, la boucle peut être bouclée. Les problèmes techniques seront résolus, notamment la fiabilisation du réseau européen, car la boucle ne peut évidemment pas se faire avec un risque de sécurité pour l’Europe. Les problèmes financiers ne sont pas insurmontables. Reste à donner l’impulsion politique, pour accélérer les processus, rassurer les pays du Maghreb qui s’inquiètent d’une fragilisation de leurs réseaux, renforcer le réseau libyen, etc…
Mais quel est au fond l’avantage pour les uns et les autres ? La longue expérience de l’UCTE, acquise en 57 ans, montre qu’un réseau permet d’une part de mutualiser les productions et de mieux gérer les pointes de consommation, donc au final de réduire les besoins d’investissements supplémentaires de production électrique.
Or si les pays du nord de la Méditerranée voient la croissance de leur demande en électricité ralentir, il n’en est pas de même des pays de la rive sud, qui connaissent un fort développement économique et démographique, quoique avec des disparités fortes entre eux. Pour des raisons économiques et géo-politiques, et pour des raisons de solidarité, l’Europe ne peut se désintéresser des conditions de leur croissance et du risque d’élargissement de la fracture.
D’autre part, la réalisation d’une boucle permet à certains « maillons » de mieux s’organiser entre eux en des ensembles sous régionaux. Prenons un exemple : si un des pays du Maghreb veut se doter d’une centrale nucléaire, la logique sera demain que sa production soit utilisée sur tout l’ensemble du Maghreb. La solidarité entre voisins, la création de sous-régions constituent un des apports de la « boucle ». On a en Europe la même situation d’interdépendance dans la zone des Etats baltes, du fait de leur taille géographique et démographique.
Mais la priorité n’est-elle quand même pas d’améliorer d’abord les interconnexions au sein de l’Europe elle-même, qui sont loin d’être parfaites. On l’a vu le 4 novembre 2006 lors de la grand panne…
Disons qu’Europe et Méditerranée sont deux priorités à traiter de front. C’est d’ailleurs l’esprit du sommet de l’Union pour la Méditerranée.
Côté européen, les progrès se poursuivent. Nous allons franchir à la fin de l’année une étape peu spectaculaire, mais fondamentale. L’électricité ne se stockant pas, il faut en permanence veiller à l’équilibre entre les deux plateaux de la balance, offre et demande. A la fin 2008, sept transporteurs européens de la région « Centre Ouest » (Central West Europe) (2) vont faire un premier bilan prévisionnel sur le moyen-long terme. Ce bilan va prendre en compte tous les éléments, depuis les aléas météorologiques jusqu’aux investissements des uns et des autres, en passant par l’intégration des énergies renouvelables. C’est une première étape vers un « bilan prévisionnel européen », pierre importante pour la construction d’une politique de l’énergie.
Quant à la grande panne de novembre 2006, c’est au contraire les interconnexions déjà existantes qui ont permis à plusieurs pays de ne pas être plongés durablement dans le noir…
La France a annoncé le lancement d’un nouveau réacteur nucléaire de type EPR. La Grande-Bretagne et l’Italie relancent de leur côté la génération d’électricité nucléaire, alors que l’Allemagne et d’autres pays y restent hostiles. Ces différences entre les « mix énergétiques » n’est –elle pas un handicap dans l’harmonisation d’un marché de l’électricité ?
Il y a quelques années, l’intégration de l’électricité d’origine éolienne sur un réseau posait des problèmes très sérieux. C’est de moins en moins vrai. Un pays comme l’Espagne, qui est pilote en ce domaine et dont nous suivons de près l’expérience, réussit à intégrer des proportions importantes, jusqu’à 28% d’électricité d’origine éolienne. Nous allons nous même adapter le réseau français à un fort développement de cette forme d’énergie, puisqu’il est prévu de passer d’une capacité de 3.000 MW aujourd’hui à 20.000 MW d’ici 2020, à un niveau proche de celui qu’a actuellement l’Allemagne ou l’Espagne. Les renouvelables ne sont plus aujourd’hui un obstacle à la bonne gestion d’un réseau.
Quant à l’électricité d’origine nucléaire qui sera générée par une plus forte capacité de production dans plusieurs pays, elle constituera une fourniture de base qui sera de fait, selon la demande, répartie dans les différents pays de l’Union grâce aux interconnexions améliorées. Ce ne sera plus de l’"exportation" au sens ancien du mot, mais de la répartition dans un marché plus unifié. Car plus un marché est vaste, plus les différents modes de production d’électricité sont « lissés », les spécificités nationales s’effacent, l’électricité qui y circule n’a, en quelque sorte, plus de nationalité. D’où encore une fois l’intérêt de progresser vers l’élargissement des interconnexions. Quand vous êtes sur un réseau qui s’élargit, cet ensemble a une tendance à s’équilibrer.
(1) L’UCTE devrait fusionner à la fin de l’année avec l’ETSO (European Transmission system operatrors) pour former l’ENTSOE (European Network of Transmission System Operators for Electricity). Pour le gaz, la commission européenne propose de créer l’ENTSOG.
(2) Les sept transporteurs (RTE, Elia, TenneT, ENBW TNG, E.ON Netz, RWE TSO et Cegedel Net) vont créer une société de services communs transfrontaliers, CASC (Capacity Allocation Service Centre), située à Luxembourg.
Photo copyright RTE