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Par IRIS


Poutine, l'UE et le gazoduc


vendredi 12 décembre 2014

Un mini coup de tonnerre vient d'avoir lieu dans le monde de l'énergie le 1er décembre 2014 : l'annonce par Vladimir Poutine de l'abandon du projet de gazoduc South Stream. Quelles en sont les raisons ?


Voir l'analyse intégrale de Nicolas Mazzucchi, chercheur associé à l'IRIS, géoéconomiste, fondateur de Polemos .
Extraits :



Tube de tous les superlatifs, South Stream devait compléter le système gazier russe vers l'Europe par une branche sud sous la Mer noire. Avec une capacité de 63 milliards de m3 annuels, il dépassait son prédécesseur Nord Stream de près de 10 milliards de m3 assurant un approvisionnement aux pays balkaniques et d'Europe du Sud. Bien évidemment, les contrats long-terme habituels étaient prévus pour installer la Russie comme partenaire incontournable de l'Italie à la Bulgarie. Le consortium South Stream avait été modelé sur celui de Nord Stream avec une participation majoritaire de Gazprom et de nombreux partenariats avec des compagnies sur le trajet même du tube (NIS, OMV, MOL) mais aussi des clients finaux (EDF, ENI, Wintershall). Cette stratégie d'implication des compagnies européennes permettait à Gazprom de changer l'image de son projet qui de russe devenait russo-européen.

Quelles sont les raisons de cette décision russe ?

- la Russie elle-même n'a pas fait mystère d'une des principales raisons de cet échec : l'opposition de la Commission européenne, notamment au sujet de l'absence d'appels d'offres pour les contrats en Bulgarie, qui bloquait l'avancée des travaux depuis quelques mois. En effet, les autorités de Bruxelles semblaient bien décidées à ralentir le projet autant que possible, d'autant plus après les tensions entre la Russie et l'Europe au sujet de l'Ukraine. Ce sont d'ailleurs ces évènements d'Ukraine qu'il faut mettre en avant et la volonté des pays occidentaux de sanctionner la Russie pour mieux comprendre que cet abandon du South Stream apparait également comme une forme de contre-sanction russe. En décidant unilatéralement d'abandonner le projet, Vladimir Poutine fait le choix de créer un mini-chaos dans le monde des énergéticiens européens pour mieux faire sentir le poids de son pays dans ce secteur.

- La baisse globale des cours du pétrole et du gaz n'est pas non plus absente de la réflexion des dirigeants de Gazprom. (La Russie enregistre des pertes annuelles de l'ordre de 100 milliards USD). En annonçant la fin du projet South Stream, la Russie crée une tension sur les marchés européens et table sur une remontée des cours due au stress engendré.

- Cela permet en outre à la Russie, sans ouvrir trop de nouveaux champs gaziers, de réorienter ses approvisionnements vers de nouveaux partenaires comme la Chine ou en renforçant ceux existants comme avec la Turquie. Dans ce dernier cas, Moscou a annoncé une augmentation des volumes d'hydrocarbures fournis mais aussi des échanges dans les monnaies nationales pour contourner le monopole du dollar, stratégie déjà mise en place avec la Chine. Le renforcement de cette relation russo-turque s'inscrit dans une réorientation globale de la géo-économie nationale vers l'Est avec une volonté de Moscou de ne plus être autant dépendant de l'Europe. (...)

- Il faut également intégrer ce choix dans le cadre plus large de la baisse de la demande européenne. En effet, depuis plusieurs mois ou années selon les pays, les consommations d'hydrocarbures sont en baisse et l'OCDE prévoit que cette tendance devrait s'accélérer encore dans les années à venir suivant le rythme du développement des énergies renouvelables comme des solutions d'efficacité énergétique, incluant des smart grids. (...) Dans ce cadre, les pays émergents comme la Turquie, la Chine, la Corée du Sud ou l'Inde apparaissent comme des partenaires de moyen et long-terme plus intéressants eu égard aux projections de leur demande nationale.
 
- Reste enfin une hypothèse, celle de la volonté russe d'influencer les gouvernements européens via leurs entreprises énergétiques. Les partenariats conclus avec les compagnies gazières et les énergéticiens occidentaux comme ENI ou EDF avaient instauré un lien important entre ces derniers et Gazprom. (...)

Si certains voient avec soulagement le trident gazier russe s'effondrer avec la fin du South Stream, de nombreux pays, principalement dans les Balkans, comptaient ainsi sur ce projet pour leur développement économique. De la même manière, si le système actuel avec Nord Stream et le réseau terrestre Ukraine-Biélorussie semble suffisant pour les besoins actuels de l'Europe, il crée un déséquilibre dans les approvisionnements au profit de certains pays, à commencer par l'Allemagne.
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