Participez aux débats sur l'énergie de demain
 - IRIS

Le gaz de Chypre : une promesse encore bien lointaine


lundi 25 mars 2013

La crise chypriote remet au premier plan la question des richesses potentielles de l'île en gaz naturel sous-marin. Mais son exploitation risque de bousculer tout l'équilibre de la méditerranée orientale.


Alors que Chypre vient de conclure un difficile accord avec l'Europe pour sortir de la tourmente financière, l'exploitation du gaz est la seule perspective un peu positive qui s'offre à l'économie de l'île.

Un gisement considérable de gaz, provisoirement appelé Aphrodite du nom de la déesse grecque née sur l'île, a fait l'objet de premiers forages tests. Une information, qui a été très vite démentie par Gasprom, a fait état d'une proposition de la compagnie russe  d'octroyer à Chypre un soutien financier en échange de permis de prospection dans la zone économique exclusive du pays.

Mais, face à l'urgence de la crise financière, cette promesse du gaz est encore bien lointaine. Le gaz ne pourra être vendu avant au moins huit ans, le temps de mettre en place les infrastructures nécessaires. En outre, son exploitation pose des problèmes géo-stratégiques très complexes, non seulement avec la Russie, mais aussi avec la Turquie, Israël et nombre de pays arabes.

L'analyse d'Angélique Palle, de l'IRIS (Institut de Relations internationales et stratégiques) 

La partie Est de la Méditerranée a récemment fait l'objet de l'une des découvertes gazières les plus importantes des deux dernières décennies. L'U.S Geological Survey estime que le bassin du Levant situé entre Chypre et Israël pourrait contenir environ 3400 milliards de m³. A titre de comparaison, l'ensemble des pays de l'UE disposerait d'environ 2400 milliards de m³.

Ce nouveau gisement agit comme catalyseur des tendances géopolitiques en cours d'évolution dans la région. Israël, dont l'exclusivité sur les champs de Tamar et Léviathan (estimés à 700 milliards de m³) est contestée par le Liban, a signé avec Chypre en décembre 2010 un accord délimitant leurs zones économiques exclusives (ZEE) voisines afin de faciliter la prospection. Cet accord est contesté par la Turquie dont le chef du gouvernement a déclaré qu'il entendait « empêcher Israël d'exploiter unilatéralement les ressources naturelles » de cette région. Ankara considère comme une « provocation » la décision prise par Nicosie d'exploiter les gisements au large de ses côtes sans accord avec la République Turque de Chypre Nord. Le ministre chargé des Affaires européennes a déclaré que des navires turcs seraient envoyés dans la zone afin de dissuader Chypre d'y poursuivre des recherches (...).

Chypre est le seul Etat membre de l'UE à se considérer aujourd'hui comme un territoire occupé. L'île est divisée depuis son invasion en 1974 par l'armée turque et l'auto-proclamation en 1983 de la « République turque de Chypre Nord » (RTCN) reconnue par la seule Turquie, qui y maintient environ 40 000 soldats. La question chypriote demeure un obstacle majeur au processus d'adhésion de la Turquie à l'UE et les relations entre les deux Etats sont tendues.

Lorsque la compagnie américaine Noble Energy (qui exploite également une partie des champs israéliens) a effectué, en septembre 2011, les premiers forages sur la plateforme Aphrodite au large des côtes chypriotes pour le compte de Nicosie, Ankara a répliqué en concluant la même semaine un accord avec la RTCN délimitant leur frontière maritime commune et autorisant les Turcs à conduire des missions exploratoires dans les eaux chypriotes, y compris la partie Sud de celles-ci. La Turquie a envoyé à la suite de cet accord un navire de recherche d'hydrocarbures au large de l'île ainsi que plusieurs F-16 survoler la plate forme de forage chypriote.

Nicosie a lancé (à la mi-2012) une deuxième phase d'attribution de licences pour 11 nouvelles concessions. Une quinzaine de compagnies et consortiums internationaux ont exprimé leur intérêt. Le gouvernement turc a alors averti que les compagnies collaborant avec Chypre ne pourraient rejoindre aucun projet énergétique en Turquie et qu'il ne permettrait en aucune circonstance la conduite d'activités d'exploration ou d'exploitation dans les zones disputées sans son autorisation. Ankara a également dénoncé la violation par un appareil israélien de l'espace aérien de la RTCN en mai 2012 et répliqué par l'envoi de plusieurs patrouilles aériennes.

En quête d'alternatives, Chypre s'est tournée vers la Russie avec laquelle les liens sont étroits. Bon nombre de membres de la classe politique chypriote, dont l'actuel président Demetris Christofias, ont été formés en ex-URSS et le principal parti chypriote, l'AKEL, est d'inspiration communiste. La Russie qui a d'importants intérêts économiques dans l'île, plate forme offshore pour ses sociétés, mais qui s'intéresse aussi de près à ses champs gaziers (plusieurs compagnies russes sont sur les rangs pour l'exploitation des gisements) a ainsi accordé un prêt de 2,5 milliards d'euros à Chypre pour boucler son budget 2012. Des pourparlers seraient en cours selon certains officiels chypriotes pour un deuxième prêt de milliards d'euros (le PIB chypriote est de 19 milliards). L'aide de Moscou pose la question des contreparties qu'elle implique. Alors même que des voix s'élèvent en UE contre une trop forte influence énergétique de la Russie sur l'Union européenne.

Combien de temps cette question gazière pourra-t-elle rester du seul ressort national chypriote ? La montée des tensions avec la Turquie dessert le processus d'adhésion de celle-ci à l'UE, question déjà sensible. (...) Le renforcement affiché des liens chypriotes-grecs mais aussi grecs avec Israël va à l'encontre de la politique générale de l'Union qui cherche surtout à construire de bonnes relations dans la région, notamment avec les nouveaux régimes issus du « printemps arabe », dont les relations avec Israël sont souvent tendues. Entre le soutien à l'un de ses membres et ses intérêts régionaux, l'UE pourrait se retrouver en porte-à-faux.

Parallèlement aux enjeux de voisinage se pose une question énergétique stratégique : ces nouvelles réserves aux portes de l'UE pourraient servir la diversification de son approvisionnement en gaz, alors même que la production offshore diminue en mer du Nord et que l'UE verra sa dépendance aux importations augmenter lors des prochaines décennies.

Cet enjeu a bien été perçu par Chypre et Israël qui ont lancé en mars une étude de faisabilité pour la construction d'un câble électrique entre les deux pays, qui pourrait se prolonger vers la Grèce, connectant ainsi Israël au réseau électrique européen. Nicosie et Tel-Aviv envisagent déjà une exportation future de leur gaz vers l'UE, par la voie de terminaux de liquéfaction.

Réagissez à cet article
  
Nom *
Email *
Votre commentaire * (limités à 1500 caractères)
PARTICIPEZ !
Cet espace est le vôtre !
La chaîne Energie de LExpansion.com
vous ouvre ses colonnes. Partagez vos analyses !