Participez aux débats sur l'énergie de demain

Auteur
Diplômé de Sciences Po Paris et de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), Stéphane Arpin est consultant-expert économique indépendant.Ses missions portent notamment sur l'évolution des...

Gaz : la Russie et la sécurité énergétique européenne


vendredi 03 septembre 2010

"La chaîne Energie" va consacrer dans les semaines à venir plusieurs papiers au secteur du gaz naturel en Europe, dont le marché connaît des turbulences et qui pose avec acuité la question des relations entre l’UE et la Russie. Premier tour d'horizon.


La crise gazière de janvier 2009, lorsque les livraisons de gaz russe ont été interrompues vers l'Ukraine, [1] a montré à quel point la sécurité énergétique européenne était fragile. Elle a réveillé dans la mémoire collective européenne le souvenir des chocs pétroliers de 1973 et 1979.

Plus fondamentalement, elle a montré à quel point l'Union Européenne était dépendante de la Russie (25% de ses importations). Avec cependant, des situations nationales bien contrastées : si la Russie est le premier fournisseur de gaz de l'Allemagne (35,3%), elle ne représente que 15,9% des livraisons en France. Notamment grâce au choix nucléaire français : le gaz ne représente que 15% du mix énergétique primaire français contre 22,7% en Allemagne.

Pourquoi le gaz a-t-il une telle importance ? 

        Le gaz revêt une importance-clé à plusieurs titres. Tout d'abord, le rythme de découvertes de réserves gazières a depuis vingt ans été nettement plus rapide que pour le pétrole. Les réserves prouvées de gaz naturel (hors gaz non conventionnel) sont actuellement estimées à 80 ans contre 41 ans pour le pétrole. Au point que la faiblesse des prix actuels du gaz reflète les surcapacités du moment. 

       D'autre part, la croissance future de la consommation gazière est établie. Selon l'Agence Internationale de l'Energie (AIE), la demande mondiale de gaz naturel d'ici l'horizon 2020-2030 augmenterait de 1,5% par an. Les importations européennes, qui se chiffrent aujourd'hui à 300 Gm3, pourraient augmenter entre 20 et 160 Gm3 selon les différents scénarii. Toutefois, l'augmentation des importations ne ferait que renforcer la dépendance gazière européenne au point que celle-ci pourrait atteindre 80% à l'horizon 2025.

Réduire la dépendance

La dépendance gazière européenne est donc importante et notamment vis-à-vis de son premier fournisseur, la Russie. Cette dépendance est et sera structurelle. Cependant, plusieurs pistes sont à explorer par les gouvernements européens. 

       En premier lieu, diminuer la part du gaz dans la production européenne d'électricité, à l'instar de ce qui a été fait pour le pétrole à partir du choc pétrolier. Cependant, cette option est politiquement sensible tant elle repose le débat de la production nucléaire d'électricité. Clairement, ce n'est pas l'option choisie outre-Rhin. 

       Ensuite, le développement des importations de gaz naturel liquéfié (GNL), pourrait constituer une alternative intéressante pour tenter de contenir une dépendance trop forte au gaz naturel russe. La proximité des réserves nord-africaines va dans ce sens. La croissance annuelle de l'ordre de 8% par an du GNL atteste déjà de son potentiel de substitution. Néanmoins, il reste encore largement à développer une véritable flotte de transport et construire des terminaux portuaires d'ampleur à l'image des infrastructures pétrolières.

Sécuriser l'approvisionnement : Nord Stream, South Stream et Nabucco

      La construction du gazoduc « Nord Stream », commencée en fanfare début avril 2010, revêt une importance géostratégique capitale. Reliant Vybord en Russie à Lubmin en Allemagne, celui-ci est amené à être le plus important gazoduc marin du monde : long de 1224 km et d'un diamètre inédit de 1,22 m, il devrait acheminer à terme 55 milliards de m3 pour un investissement de 7,4 milliards d'Euros. Ce tracé sous-marin évite donc la voie terrestre traditionnelle de l'Ukraine et de la Biélorussie. L'objectif étant bien d'éviter toute tension géopolitique parasitant les livraisons. 

  Outre le projet « Nord Stream », l'Europe est actuellement la destination de deux autres projets d'ampleur qui cristallisent les nouveaux rapports de force post Guerre Froide autour de l'énergie.

   D'une part, le gazoduc « Nabucco » reliant l'Iran à l'Europe Centrale (3300 km pour un approvisionnement annuel maximum estimé à 31 milliards de m3et un coût de près de 8 milliards d'Euros) soutenu également par l'Union Européenne et les Etats-Unis. Il offre ainsi à l'Europe une voie d'approvisionnement « sud », alternative à la Russie et devrait permettre de réduire la forte dépendance des pays d'Europe Centrale au gaz russe. Actuellement, 80% du gaz hongrois est d'origine russe.

   D'autre part, le projet « South Stream » est, quant à lui, porté par le consortium italo-russe Eni-Gazprom et doit relier la Russie, via la Mer Noire, à la Bugarie, l'Italie et l'Autriche. D'une capacité annuelle de 63 milliards de m3, il devrait totaliser 3600 km pour un coût qui devrait dépasser les 20 milliards d'Euros. La « diplomatie énergétique » russe, développée par Vladimir Poutine, en a fait très clairement une priorité stratégique via Gazprom. Objectif : concurrencer Nabucco et contenir l'influence américaine auprès de l'Union Européenne ainsi qu'en Europe Centrale et Orientale.

      Les partenariats découlant de cette stratégie sont un des leviers essentiels de sécurisation de l'approvisionnement à l'avenir. Les nouveaux acteurs gaziers, à l'image de GDF-Suez, ne s'y sont pas trompés. La nouvelle major a acquis 9% du gazoduc Nord Stream en tissant un partenariat avec le géant russe Gazprom [2] avec, en toile de fond, la livraison annuelle potentielle de 1,5 Gm3. Mais le principal défi pour l'Union Européenne reste bien à diversifier ses sources d'approvisionnement en direction d'Afrique du Nord et au Moyen Orient (40,6% des réserves mondiales prouvées).

 [1] 80% du gaz russe acheminé vers l'Europe transite par l'Ukraine contre 20% pour la Biélorussie.
 [2] Avec 29 000 Gm3, Gazprom concentre 17% des réserves mondiales prouvées.

Photo © Roger Asbury - Fotolia.com


Graphiques :







































PARTICIPEZ !
Cet espace est le vôtre !
La chaîne Energie de LExpansion.com
vous ouvre ses colonnes. Partagez vos analyses !
Auteur
Diplômé de Sciences Po Paris et de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), Stéphane Arpin est consultant-expert économique indépendant.Ses missions portent notamment sur l'évolution des...

Lire la suite

Du même auteur