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Nanoscience - Joël de Rosnay : « Plus qu’une révolution, une mutation de l’histoire de l’Humanité»


jeudi 10 janvier 2008

Joël de Rosnay est un scientifique et en même temps un grand communicateur. Ses conférences récentes à la Cité des Sciences ont été rassemblées dans un livre, "2020 - Les scénarios du futur". Il répond aux questions de Scitizen sur les nanotechnologies.


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Joël de Rosnay, vous êtes scientifique, essayiste, conseiller du président de la Cité des Sciences. Comment définir simplement les nano-sciences, les nano-technologies ?
C’est le monde de l’infiniment petit, et c’est la capacité de l’Homme à reconstruire ce monde de l’infiniment petit.
Il faut raisonner par analogie. Quand on a devant soi un « meccano » ou un « lego », on peut fabriquer des choses très compliquées. Les pieces sont les molécules. Certes , avec les molécules, on faisait la chimie. On les associait au hasard en les agitant dans un ballon ou en chauffant.
Avec les nano-technologies,  on assemble ces molécules de manière volontaire. On les met les unes sur les autres pour fabriquer des membranes actives, des nano-puces, des produits médicamentaux, des substances qui peuvent se diffuser dans le corps, etc…
Dans l’infiniment petit, il y a le monde du milli, du micro, du nano. Je vais donner une échelle : avec une taille d’1m80, si je suis grandi un million de fois, je vais mesurer 1.800 km, donc  la tête à Paris, les pieds en Grèce. Cela fait quelqu’un de très grand allongé sur l’Europe. Eh bien, dans cette échelle, un nanomètre aurait la taille d’un grain de raisin.
Et l’on a commencé à fabriquer des produits dans ce monde de l’infiniment petit ?
Il y a 350 produit nano-technologiques sur les marchés. On ne les voit généralement pas : ils sont par exemple dans l’industrie de l’automobile, dans les pneus qui sont ainsi rendus plus silencieux, dans les surfaces plus résistantes. Des nano-particules sont dans des produits cosmétiques, comme des crèmes solaires, d’ailleurs critiqués. Il y en a de très intéressants, ce sont les nano-tubes de carbone, qu’on utilisera de plus en plus dans les écrans de télévision ou pour stocker l’hydrogène dans les voitures de l’avenir.
Il y a même une application extraordinaire qui date d’un mois et dont la presse a peu parlé : ce sont des nouvelles batteries qui utilisent des nano-fibres de carbone pour stocker l’électricité. En gros, il s’agit de consensateurs. Mais, pour un condensateur normal, il faut beaucoup de surface, et il est difficile de mettre un énorme condensateur dans une voiture ou un téléphone portable. Si vous voulez vous sécher avec un  drap, cela ne sera pas très efficace, mais une serviette éponge est faite de petits morceaux de tissu, et chacun prend une goute d’eau. C’est pareil pour le nouveau condensateur : les nano-particules chargent un peu d’électricité chacune et on charge sa batterie en quelques secondes. Ce sera une vraie révolution.

La nano-science a aussi des applications en médecine …
Les bio-puces par exemple. Ce sont de toutes petites surfaces en plastique sur lesquelles on fait pousser des chaines d’ADN qui peuvent reconnaître d’autres morceaux d’ADN et s’y fixer. Grâce à des étiquettes fluorescentes, on sait ce qui s’est fixé à tel endroit et on peut faire des diagnostics de virus dangereux ou de bactéries dans l’eau.
Il y a aussi les pilules intelligentes, mises sous la peau au lieu d’être avalées, et qui libèrent tous les jours la substance active au bon endroit et au bon moment, à partir d’informations reçues d’un capteur quelque part dans le corps.
 
Les nano-sciences sont très critiquées. Présentent-elles des risques ?
Nous avons cette démarche à la Cité des Sciences : on montre la technologie et on discute toujours son impact sur l’Homme et sur la société. Nous mettons en débat la science. Nous présentons les produits et les risques.
Pour les nano-sciences, le premier risque c’est que ces particules sont tellement petites que leur surface d’interaction avec le monde vivant ou le monde chimique extérieur est immense –on l’a vu à propos des nouvelles batteries. Donc il y a un risque de propriétés nouvelles naissant de l’extraordinaire surface de ces particules.
Ensuite, elles peuvent être absorbées, respirées, comme l’amiante. On sait que les nano-tubes de carbone ont créé des  risques pulmonaires chez les animaux de laboratoire testés.
On ne sait pas trop où l’on va, d’où l’importance d’une réflexion approfondie.

Certains mettent en avant des problèmes d’éthique. Certains conçoivent même des transformations de l’être humain, des « transhumains » en quelque sorte. Qu’en pensez-vous ?
La communauté scientifique sérieuse est très critique des « transhumanistes ». On les connaît,
on sait d’où ils viennent, ce qu’ils racontent. C’est une vision « nitzschéenne »
d’un surhomme équipé de puces electroniques, avec avec peau artificielle, etc… On peut  faire de la science fiction, mais de là à rajouter une vision fabriquant des hommes différents des autres hommes - des alpha,  des mega, des omega à la façon d’Aldous Huxley - créant des « sous-hommes » puisqu’on crée des « sur-hommes » ! Il faut éviter ce genre de dérive.

Y a-t-il une régulation possible ?

Personne ne régule la recherche en général. Ce qui régule, ce sont les budgets (est-ce assez ou pas assez), ce sont les gens compétents (y en a-t-il asez, pas assez ?), donc la masse critique d’intelligence. Et il y a les régulations gouvernementales par les grands axes qui sont données.
La régulation doit se faire par deux moyens :
- la régulation par le marché, qui est ouvert, libre et dangereux : l’industrie, qui veut accroitre ses profits, va lancer des produits, comme on l’a vu pour les OGM, sans avoir étudié le risque pour l’Homme ;
- une co-régulation  citoyenne, plus intéressante sur le plan démocratique, régulée par les votes, les achats, les comportements face à des produitrs considérés comme risqués. Cela s’appelle le principe de précaution. A la Cité des Sciences, cela a abouti à créer des débats citoyens, participatifs, sur le réchauffement climatique ou la vache folle.
C’est cela notre moyen pour rendre les gens responsables et pour qu’ils contruisent leur l’avenir plutôt que le subir.

Les nano-sciences peuvent avoir des applications militaires, en étant utilisé dans l’armement. Est-ce un danger ?

Les risques sont ceux de l’armement lui-même, car l’armement est fait généralement  pour tuer des gens.
C’est vrai que les nano-technologies intéressent beaucoup les militaires. Il y a des
uniformes développés aux USA : dès que le soldat a été blessé, sa tenue crée localement un textile intelligent pour cicatriser la plaie et introduire des substances évitant l’infection. Il y a aussi des détecteurs nano-technologiques permettant de repérer des quantités infimes de gaz ou produits dangereux de la guerre bactériologique.

Le marché des nano-technologies, c’est mille milliards de dolars. Comment contrôler ce développement ?

C’est comme la chimie dans les années 30. Elle a créé le monde dans lequel on est. Sans la chimie, nous n’existerions pas. La chimie représente des marchés de milliers de milliards. Il est normal que les nano-technologies, qui sont de la chimie raisonnée, qui permettent un meccano de molécules, conduisent aussi à un marché énorme.
Le contrôle est extrêmement difficile. C’est pouquoi nous pensons, comme je l’ai dit, que le contrôle citoyen est un des remparts les plus importants de la techno-science. Si on laisse la techno-science s’emballer par elle-même, il y a un risque de perte de contrôle.
 
Les nano-technologies ne risquent-elles pas d’accroître le fossé entre pays développés et pays pauvres ?

C’est très possible, dans la mesure où les laboratoires qui font des recherches en nano-technologie et les industriels qui les appliquent constituent des secteurs très pointus.
Mais en même temps, on peut penser que cette capacité de fabriquer des substances nouvelles, de la matière « du bas vers le haut » va aussi conduire à des avantages extraordinaires pour les pays en développement, en les aidant à produires les substances dont ils ont besoin, par exemple pour protéger ou amplifier leurs récoltes.

En conclusion, les bienfaits l’emporteront-ils sur les méfaits, ou l’inverse ?

Je dirai 50-50. Cela dépend de notre responsabilité humaine de faire aller ces siences dans un sens bon pour l’Homme, et pas dans un sens contraire qui détruise les libertés humaines et construise un défi que l’Homme ne pourrait surmonter.
C’est plus qu’une révolution, c’est une mutation profonde de l’histoire de l’Humanité. Le mouvement est déjà en marche, il y aura de plus en plus de produits nano-technologiques. Donc informons nous !

Propos recueillis par Gilles et Jean-Luc Prigent

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