Par Hervé Le Treut
- Directeur de recherche au CNRS
Auteur
Hervé Le Treut est directeur de recherche au
CNRS
Hervé
Le Treut, né le 18 juin 1956, ancien élève
de l?École normale supérieure, docteur ès...
Changement climatique : entre polémiques et débats
Par Hervé Le Treut
- Directeur de recherche au CNRS
mardi 06 avril 2010
Rencontré en marge de la Conférence annuelle d’Enablon, le climatologue Hervé Le Treut, signataire de la pétition contre Claude Allègre, apporte un éclairage raisonné sur la crise que traversent les scientifiques climato-convaincus.
Cette interview a été modifiée à la demande d'Hervé Le Treut, qui a voulu y apporter quelques précisions.
On reproche aux membres du Giec de rechercher le consensus plutôt qu’une « vérité » scientifique, au détriment, donc, du débat. Que pensez-vous de cette affirmation ?
Il ne faut pas confondre débat et polémique. Le débat s’organise entre scientifiques, la polémique vient souvent par médias interposés. L’unanimité du GIEC ne concerne pas l’ensemble de la science, mais un processus d’expertise sur l’impact potentiel des gaz à effet de serre sur le climat, … et il y a aussi unanimité sur certains désaccords. Par ailleurs le climat n’est pas le seul problème : le GIEC ne dit rien de la biodiversité, qui ne change pas seulement à cause du réchauffement climatique, qui change également parce qu’on est nombreux sur terre, ni sur le phénomène d’épuisement des ressources naturelles, et ces problèmes aussi doivent faire l’objet d’une expertise internationale. Par contre, toutes les questions liées à la justice sociale, à la justice internationale, sont des problèmes de valeurs, des problèmes politiques et non scientifiques, et ces débats politiques sont nécessaires. Une part des polémiques récentes, toutefois, sont aggravées par la porosité entre les débats scientifiques et politiques, qui devraient rester bien distincts.
Vous faîtes allusion aux débats qui sont entrepris par les climato-sceptiques ?
Oui, même si je n’aime pas trop la traduction de tout ça en « camps opposés ». En science, il y a des faits établis, mais aussi des faits incertains, et le rapport du GIEC, traduit une réalité complexe. Le rapport du GIEC est une réponse à un souci d’expertise : le G7 a demandé à un collège de scientifique s’il était dangereux de mettre des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. La communauté scientifique s’est donc organisée, sous l’égide des Nations-Unis et de l’Organisation Météorologique Mondiale pour apporter des éléments de réponse à cette question, en se basant sur la science qui est débattue dans les laboratoires. Pour chacun des 4 rapports, les textes ont subi 3 relectures par l’ensemble des scientifiques qui le souhaitaient et un résumé pour décideur a été approuvé, ligne à ligne, par des délégués (des experts scientifiques) de tous les gouvernements de la planète. Le texte final est un texte sur lequel n’ont trouvé à redire, ni les délégués des Etats-Unis, ni les délégués de la Chine…ni ceux de l’Arabie Saoudite. Tous l’ont accepté. Mais cela ne veut bien sûr pas dire que l’on sait tout sur tout.
Pourtant, Claude Allègre, lui-même scientifique, affirme que le réchauffement climatique est une imposture. Seriez-vous donc des escrocs ?
En sciences, lorsqu’il y a des problèmes, des clivages, ils doivent se régler par la voie scientifique. Il y a par exemple eu un débat, pendant de longues années, à cause de différences dans les données de températures de l’atmosphère. Celles qu’on obtenait avec des satellites par micro-ondes indiquaient un refroidissement, tandis que celles mesurées au sol par infrarouge donnaient plutôt un réchauffement. Cela ne collait pas. Les sites sceptiques, qui existaient déjà à l’époque, avaient pris parti ! Mais le débat scientifique est d’une autre nature l’erreur dans l’analyse des données micro-ondes a été identifiée plusieurs années après, après un long travail minutieux. Certains chercheurs se finalement rendu compte que les données atmosphériques avaient été biaisées par une petite erreur informatique : elles avaient été «contaminées » par des données de la stratosphère (qui elle, se refroidit avec l’effet de serre).
Pensez-vous que Claude Allègre déplace le débat ?
On ne fait pas de débat scientifique dans les médias. On organise un débat scientifique avec des arguments précis que l’on peut confronter et vérifier – je crois qu’il faut y revenir très vite.
Pensez-vous qu'il faille vulgariser la science pour mieux en faire comprendre les enjeux?
Bien sûr il est important que les citoyens soient éduqués. Mais l’information doit être juste est mesurée, si l’on veut qu’ils s’y retrouvent. Si l’on met en avant de manière disproportionnée certains éléments (la fonte des glaciers hymalayens en 2035, une erreur de frappe sur un rapport de plusieurs milliers de pages) on provoque aussi une confusion, et certains médias, génèrent actuellement plus de confusion que de compréhension.
La science climatique ne se serait-elle pas également « politisée » ?
La science a un impact sur des problèmes sociétaux, et ses résultats sont repris dans des contextes très différents. Il y eu un catastrophisme gênant au moment de Copenhague. Limité à son expression purement scientifique, le débat sur le réchauffement climatique, est très ennuyeux pour les médias. La science résumée par le rapport du GIEC de 199O (Rio) est largement confirmé par le dernier. Face à cette relative monotonie, on a le sentiment que les médias aiment les phénomènes d’exagération, de balancier, dans un sens comme dans l’autre.
Faut-il réorganiser le GIEC ?
Je ne sais pas. Un comité a été mis en place pour discuter les procédures. Si nous pouvons «durcir » un peu le GIEC, imposer plus de contraintes pour le rendre le plus transparent et ouvert possible, cela sera une très bonne chose. Mais je crois qu’il est important de garder une expertise au niveau international.
Que préconiseriez-vous pour arranger les rapports entre scientifiques, médias, et citoyens ? Comment faire, dans les années à venir, pour mettre de côté ces polémiques ?
Je pense qu’il nous faut plus d’espaces de débat scientifique interdisciplinaire, non seulement au niveau international (comme le GIEC ou un GIEC réformé) mais aussi au niveau national. Un élément fondamental est l’éducation. Si l’opinion semble se retourner aussi rapidement, ce n’est pas uniquement dû à l’agitation de la blogosphère ! Les scientifiques sont incompris car ils se trouvent face à un niveau de compréhension des enjeux (ndlr : du réchauffement climatique) extrêmement superficiel. On a l’objectif que 80% des jeunes aient le bac (c’est bien !) mais, la place qu’occupent les sciences de la nature dans cette formation est très faible. Lorsque j’interroge des personnes au hasard de mes rencontres sur la raisons pour laquelle il pleut à l’équateur, personne ne sait me répondre, alors qu’une grande partie de la réponse est connue depuis le 17e siècle ! Commençons par enseigner les bases du fonctionnement de la planète, pour espérer un jour rentrer dans des débats de fond plus largement partagés.
Voir la pétition des 576 scientifiques français contre Claude Allègre
Propos recueillis par Léa-Sarah Goldstein
" (...) Triste spectacle que ces escouades de savants se réfugiant dans les jupes de Valérie Pécresse, pour que leur ministre les protège de Claude Allègre. Pitoyable cirque que l'aveu par ce dernier du rabotage de quelques courbes, afin qu'elles épousent les circonvolutions de ses raisonnements(...) Aussi affligeante est la crispation capricieuse des adversaires d'Allègre. La colère légitime des savants anonymes est polluée par la jalousie de mandarins aux succès d'édition étiques et, parfois, par les ruses de quelques idéologues. C'est ainsi que le noble combat pour l'environnement se corrompt de la funeste lutte pour la décroissance. Les plus extrémistes trimballent même, dans les fourgons du sauvetage de la planète, un altermondialisme de pacotille et un anticapitalisme de contrebande, et ils cachent sous le vert de leur discours le rouge de leur pensée -quand ce n'est pas du brun(...)"
http://www.lexpress.fr/actualite/environnement/allegre-et-le-bris-de-vert_882490.html
"Comme si c’était à Sarkozy ou à sa ministre de juger de la pertinence ou de l’impertinence d’une théorie scientifique"
- L'analyse de Jean-François Khan
http://www.marianne2.fr/Zemmour,-Guillon,-Melenchon,-Allegre,-le-pape-vaincre-ou-convaincre_a190085.html
"Les choses étaient décidemment bien plus simple au temps de Galilée" - L'analyse de Jean-Yves Nau
www.slate.fr/story/19515/allegre-pourquoi-tant-de-haine