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Thomas Porcher est docteur en économie, Professeur à l'ESG Management School et fondateur de GBP-conseil. Il est l'auteur du livre "Un baril de pétrole contre 100 mensonges" - Ed...

Quelle est la crédibilité de Total ?


lundi 12 mars 2012

Si Total triche aux Etats-Unis, quel comportement peut-on attendre de sa part dans les pays pauvres ? Dans son dernier livre, Thomas Porcher interpelle le groupe pétrolier.


Alors que des filiales de Total sont accusées d'avoir volontairement sous-évalué le montant des redevances à verser à l'Etat fédéral américain et à des communautés indiennes pour l'extraction de gaz naturel, le géant pétrolier français a accepté de payer 15 millions de dollars aux autorités américaines pour mettre fin aux poursuites « d'infraction à la loi sur les fausses déclarations » et régler cette affaire à l'amiable.

Mais cette affaire de manipulation d'information pour obtenir du gaz à moindre prix relance le débat sur les pratiques de Total dans les pays producteurs de pétrole et interpelle : si Total sous-évalue volontairement les redevances à payer aux Etats-Unis dans un pays aux institutions fortes, quel comportement peut-on attendre d'elle dans des pays en développement aux institutions plus fragiles ?

Aujourd'hui, dans les pays pauvres, à chaque découverte de champs pétrolifères potentiellement rentables, un même cercle vicieux s'installe : les pays pétroliers ne possédant ni les moyens techniques, ni les moyens financiers pour exploiter leurs ressources pétrolières font appel à des compagnies privées pour mettre en place un programme d'exploration et de production de leurs gisements. Les compagnies collectent des informations (géologiques, géophysiques) qui sont ensuite analysées par leurs experts pour estimer les chances de succès, la taille et la rentabilité probables du gisement. Ces informations, nécessaires pour établir la valeur du gisement, sont ensuite fournies au pays détenteur. Mais comme cette collecte d'informations est réalisée par les compagnies privées, elles sont les seules à connaître la valeur réelle des gisements du pays, sur laquelle est censée se baser la mise à prix et les contrats de partage entre le pays et la compagnie. Etrange situation où l'acheteur (la compagnie) évalue le prix d'un produit pour le compte du vendeur (le pays) pour ensuite le lui acheter au prix qu'il a évalué.

Les compagnies présentent ainsi au pays hôte les caractéristiques supposées de ces gisements (réserves, rendement) et de nombreux pays pétroliers, parmi eux les plus pauvres (Congo, Gabon), n'ont une connaissance de la valeur de leur richesse pétrolière que par les analyses des experts des compagnies. Un dysfonctionnement que soulignent de nombreux rapports notamment celui de la Banque mondiale en 2010 sur les revenus pétroliers du Congo où Total y est l'opérateur principal (60% de la production). Selon ce rapport, « ni le Ministère des Finances et du Budget, ni le Ministère des Hydrocarbures n'ont une capacité suffisante pour prévoir les volumes de production et le niveau des revenus pétroliers ».

Le rapport ajoute : « Ils se fondent donc sur les données fournies par les compagnies pétrolières en vertu des exigences contractuelles ». Un autre rapport de l'AFD (B. Leenhardt 2004) montre que les compagnies pétrolières transmettent des estimations fausses aux Etats producteurs dans le but d'augmenter leurs profits (surestimation des coûts de production, sous-estimation de la qualité du pétrole ou des réserves). Il précise : « Tricher sur la production est d'abord la manière la plus simple de frauder pour les compagnies pétrolières ».

Mais à la différence des Etats-Unis, dans les pays en développement, la sanction, et même le risque de sanction, sont faibles. Les autorités des pays n'ont pas la même capacité à faire respecter le droit. Certains pays ont les moyens techniques et financiers pour prouver, faire pression, d'autres non. Dans le cas des Etats-Unis, les autorités américaines ont jugé que Total a « sous payé en toute connaissance de cause des royalties sur le gaz naturel » car elles étaient en mesure de vérifier la différence entre ce qui est avancé par Total (gaz non liquéfié) et ce qui est vrai (gaz liquéfié). Actuellement, très peu de pays en développement et producteurs de pétrole, ont une capacité technique suffisante pour remettre en cause les informations fournies par les compagnies. De surcroît, l'exploration et l'exploitation offshore rendent encore plus difficile le contrôle des informations. Un manque de transparence sur la valeur des gisements et le versement des revenus du pétrole d'autant plus grave qu'il facilite la collusion entre compagnies pétrolières et gouvernants de pays producteurs au détriment des habitants de ces pays.

Thomas Porcher vient de sortir L'indécence précède l'essence - Enquête sur un Total scandale.(Max Milo éditions)
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3 commentaire(s)
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Commentaire par 667-75
lundi 12 mars 2012 15:36
Je vis a Chypre, et les recentes (et importantes) découvertes de gaz naturel, pour lesquelles la companie Americaine 'Noble' a les droit d'exploration et d'exploitation, laissent planer le meme doute.
[2]
Commentaire par Kryz
mardi 13 mars 2012 10:07
On pointe les seules pétrolières. Mais les compagnies qui font de l'exploration et de l'extraction sont bien plus nombreuses... "Noble" par exemple, ou un grand leader portugais dont on ne parle jamais en France. Le secteur est concurrentiel il me semble. Enfin bref, c'est toujours très facile de voir dans les grandes boîtes des monstres omnipotents qui décident de tout. Au moins, ça flatte le lecteur, et ça vend bien... Mais c'est simpliste.
[3]
Commentaire par Alain Le Gargasson
mardi 13 mars 2012 19:27
Comme au Brésil, il suffit de mettre, un compteur volumétrique à la sortie du champ pétrolier sur le navire FPSO. Comme les producteurs d´alcool, de boissons en tout genre qui sont donc taxés en fonction du volume produit. C´est de loin la plus simple des solutions.
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