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Auteur
Aurélien Gleyze, 21 ans, est étudiant à l'Ecole Centrale de Paris et à Sciences Po Paris

Couper le ruban rouge de l’efficacité énergétique


vendredi 22 février 2013

Quand on inaugure une centrale, il y a une cérémonie, on coupe un ruban. Les économies d'énergie, elles, sont faites de petits gestes peu médiatiques. Et pourtant, elles sont essentielles.


Cet article a remporté le 4eme prix du concours "Génération Energies", décerné par L'Expansion, SIA-Partners et RTE.

Aurélien Gleyze, 21 ans, est étudiant à l'Ecole centrale de Paris et à Sciences-Po Paris




 
« Elle ne s'écoule pas à travers un pipeline, ni ne circule le long de câbles à haute tension. Elle n'a pas la stature d'une éolienne ni la taille imposante d'une centrale électrique » écrit Daniel Yergin, spécialiste des questions énergétiques et lauréat du prix Pulitzer pour Les Hommes du Pétrole. « Et pourtant, poursuit-il, dans les années à venir l'efficacité peut avoir un impact plus important que toutes les autres ressources énergétiques. »

Un potentiel à exploiter

Cependant, à cause de son caractère immatériel, l'efficacité a toujours été le parent pauvre des politiques énergétiques. Comme l'expliquait en 2009 Andris Piebalgs, alors commissaire européen en charge de l'énergie, « l'efficacité énergétique est faite de petites économies, de politiques incitatives et de règlementations. Il n'y a pas de ruban rouge à couper. » Pas de cérémonie d'ouverture, donc, et pas de caméra de télévision pour célébrer les économies d'énergie. Mais de nouvelles technologies sont en train de leur donner plus de visibilité et de les rapprocher du consommateur.

Ces nouvelles technologies sont qualifiées de compteurs intelligents ou « smart meters ». Ces compteurs électriques de nouvelle génération incitent les utilisateurs finaux à optimiser leur consommation d'électricité en leur permettant de l'évaluer en temps réel.

Mesurer pour mieux consommer

C'est le cas du « Smart Analyzer », développé par la jeune start-up française Smart Impulse et récemment récompensé par le prix Cleantech Republic. Le Smart Analyzer s'appuie sur une base de données recensant les signatures électriques des appareils les plus courants. Il permet ainsi d'identifier la part de chaque appareil dans la consommation globale en analysant uniquement le signal électrique entrant dans l'immeuble (voir schéma ci-dessous).























« Comme quand l'oreille humaine écoute un orchestre et arrive à identifier la part du son qui vient de chaque instrument, nous analysons la forme du signal électrique pour déterminer la consommation de chaque appareil » précise Charles Gourio, co-fondateur de l'entreprise. Les utilisateurs peuvent alors consulter en ligne le détail de leur consommation. Et ils sont d'autant plus incités à modifier leurs comportements qu'ils mesurent en temps réel les économies réalisées.


Cette technologie, conçue spécialement pour les bureaux et surfaces commerciales, a permis à ses utilisateurs de réaliser des économies d'électricité de 10 à 15% grâce à un meilleur réglage des instruments et un changement des comportements. Les centrales de traitement de l'air ne fonctionnent plus à plein régime le week-end ; pendant la nuit l'éclairage est réduit et les équipements informatiques éteints.

La mesure de la consommation par type d'appareils devrait naturellement s'étendre aux particuliers, ce qui les rendra doublement acteurs. Non seulement cela les incitera à rationaliser leur consommation, mais cela leur permettra aussi de mieux cibler les investissements dans l'efficacité énergétique (isolation, appareils basse consommation...) et de vérifier dans la durée que des économies sont réalisées.

Effacer la demande

D'autres compteurs intelligents fonctionnent sur le principe de « l'effacement diffus ». Ils permettent à l'opérateur du réseau électrique de suspendre l'alimentation de certains appareils comme les chauffages électriques. L'opérateur peut ainsi réduire la con-sommation d'électricité en période de pointe tandis que les consommateurs réalisent des économies. Et comme ces coupures ne sont que de courte durée, le change-ment de température est souvent imperceptible.

« L'énergie la plus propre, c'est celle que l'on évite de consommer » lance Pierre Rivas, fondateur et PDG de Voltalis. Créée en 2007, cette PME de 150 salariés a annoncé avoir déjà équipé plusieurs milliers de foyers français avec son boîtier « BluePod ».

Sur la base de tests effectués chez des possesseurs de BluePod, l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie estime qu'un effacement de 15 à 20 minutes par heure permettrait de réduire la consommation des radiateurs électrique de 11 à 13% en moyenne. Sachant que le chauffage électrique représente près des deux tiers de la consommation d'électricité des foyers équipés (1), cela correspondrait à une réduction de 7 à 8% de la facture annuelle.

A l'échelle de la France, où 31% des logements sont chauffés à l'électricité, c'est 4.000 à 5.000 GWh par an qui pourraient être économisés, soit autant que la con-sommation annuelle de 900.000 foyers, la production annuelle de 850 éoliennes (2), ou celle de deux centrales thermiques à cycle combiné gaz (3).

Le BluePod a lui aussi un mérite double : d'une part, il permet au consommateur de réaliser des économies grâce à une meilleure gestion de sa consommation et, d'autre part, il le prépare à jouer un rôle actif au sein d'un marché de l'effacement.

Vers un marché de l'effacement ?

Du point de vue de l'opérateur, l'effacement de de-mande permet d'équilibrer le réseau en arbitrant entre production et non-consommation d'électricité. Selon James Rogers, PDG du géant américain Duke Energy, « il faut inventer un modèle d'affaires dans lequel effacer des mégawatts est traité de la même façon que produire des mégawatts. »

Mais il faut pour cela créer un véritable marché de l'effacement qui permette au consommateur de mettre un prix sur la réduction de sa consommation. En effet, l'effacement de demande correspond à une perte de confort qui doit être monétisée, aussi minime soit-elle. D'autre part, cette monétisation doit pouvoir être différenciée : couper le chauffage d'une personne âgée de-vrait valoir plus que couper celui d'un jeune couple.

Idéalement, chaque utilisateur entrerait sur un boîtier sa courbe d'offre, c'est-à-dire les quantités d'énergie auxquelles il est prêt à renoncer et à quel prix. Par exemple : 60€/MWh pour les 10 premier pourcents, 80€/MWh pour les 10 suivants etc. L'opérateur agrégerait ensuite les courbes d'offre d'effacement et y ferait appel par ordre de mérite.

Ainsi, dans un marché efficace le coût marginal de production serait à chaque instant égal au coût marginal d'effacement. Bien entendu, cela supposerait une tarification dynamique de l'électricité.

Mais quand les « négawatts » se vendront au même prix que les mégawatts et que chacun mesurera son éco-responsabilité sur sa facture d'électricité, nous aurons enfin coupé le ruban rouge de l'efficacité énergétique.



NOTES
1. 62,7% d'après le CEREN

2. D'une capacité de 3MW avec un facteur de charge de 20% (moyenne française selon l'Eurostat)

3. D'après Sia Partners, Gas in Focus


SOURCES
*    Daniel Yergin, The Quest: Energy, Security and the Remaking of the Modern World. Penguin Books, 2012 (extrait du Chapitre 31)
*    ADEME, 08/10/2012. Avis sur l'effacement des consommations électriques résidentielles.
*    RTE, Statistiques de l'énergie électrique en France 2011 (consulté le 11/01/2012)

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4 commentaire(s)
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Commentaire par Bobby
vendredi 22 février 2013 11:58
"Sur la base de tests effectués chez des possesseurs de BluePod, l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie estime qu'un effacement de 15 à 20 minutes par heure permettrait de réduire la consommation des radiateurs électrique de 11 à 13% en moyenne. Sachant que le chauffage électrique représente près des deux tiers de la consommation d'électricité des foyers équipés (1), cela correspondrait à une réduction de 7 à 8% de la facture annuelle. " Mauvaise lecture de l'avis de l'ADEME : la réduction de 7% à 8% est obtenue seulement sur la consommation des jours où le chauffage a été coupé. Ce ne sont pas tous les jours de l'année, et la facture n'est pas proportionnelle à la consommation (il y a aussi une part fixe). La réduction de facture est donc beaucoup plus faible. On peut comparer cela aux annonces faites par Voltalis, Pierre Bivas promet une réduction de la facture de 20%, voir l'article ci-dessous : http://www.energie2007.com/actualites/fiche/2614/voltalis_electricite_pointe_effacement_rte_bretagne_050510.html
[2]
Commentaire par Bobby
vendredi 22 février 2013 12:02
"Le BluePod a lui aussi un mérite double : d'une part, il permet au consommateur de réaliser des économies grâce à une meilleure gestion de sa consommation et, d'autre part, il le prépare à jouer un rôle actif au sein d'un marché de l'effacement." Au contraire, le consommateur ne joue aucun rôle actif : ses équipements sont délestés à distance. Il peut seulement les mettre en marche forcée s'il a trop froid (mais pas trop souvent, sinon il doit payer 400? à Voltalis).
[3]
Commentaire par Bobby
vendredi 22 février 2013 12:06
"Idéalement, chaque utilisateur entrerait sur un boîtier sa courbe d'offre, c'est-à-dire les quantités d'énergie auxquelles il est prêt à renoncer et à quel prix. Par exemple : 60?/MWh pour les 10 premier pourcents, 80?/MWh pour les 10 suivants etc. L'opérateur agrégerait ensuite les courbes d'offre d'effacement et y ferait appel par ordre de mérite." Pourquoi pas, mais il serait beaucoup plus logique que le consommateur renseigne sa vraie courbe d'offre, c'est à dire les quantités qu'il souhaite consommer et à quel prix. Cela répond directement aux préoccupations d'efficacité économique du marché de détail de l'électricité, sans avoir besoin de l'adosser à un second marché créateur d'intermédiaires et donc de coûts de transaction, et responsabilise le "consom'acteur".
[4]
Commentaire par Gépé001
vendredi 22 février 2013 17:15
C'est un bel effort d'établir des théories que nécessitent de faire des calculs d'optimisation.Ne serait-il pas plus efficace de donner un juste prix à l'énergie(pétrole,gaz et électricité) puisque nous sommes déja habitués à optimiser les autres dépenses;il faut choisir entre la dépense et le bien-être procuré par cette dépense.Restons les pieds sur terre.
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Aurélien Gleyze, 21 ans, est étudiant à l'Ecole Centrale de Paris et à Sciences Po Paris

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