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Le débat avec Hervé Nifenecker


samedi 21 février 2009

Plusieurs internautes ont engagé un débat avec Hervé Nifenecker qui leur a longuement répondu. Voici ce dialogue.



Stank - Oui mais combien de déchets radioactifs de longue durée les francais "émettent-ils" de plus ? et que vont-ils en faire pendant 1000 ans ? et pendant 1 000 000 d'annéees ??

On ne mentionne pas ici que le lobby nucléaire a fait la promotion du tout électrique depuis les années 80: chauffage électrique et pompes à chaleurs électriques qui augmentent la part électricité de la consommation d'énergie finale de la France par rapport au fioul, gaz et bois. Dailleurs énergétiquement c'est absurde : on produit de la chaleur avec le rayonnement nucméaire, on la convertit en électricité dans une turbine à vapeur, on transporte l'électricité dans un réseau, et enfin on la re-convertit en chaleur dans un convecteur. Cette filière a un rendement énergétique global bien inférieur à 30% (de la centrale nucléaire au chauffage, sans compter les dépenses énergétiques d'extraction et enrichissement de l'uranium).
ON FAIT MIEUX COMME TECHNOLOGIE D'AVANT GARDE !

Réponse d'Hervé Nifenecker - Il serait trop long de traiter ici les deux questions que vous posez, celle sur les déchets et celle sur le chauffage électrique. Je me concentre sur la première et reviendrai ultérieurement sur la seconde. SI vous cherchez vraiment des éléments de réflexion sur le sujet du chauffage électrique vous pouvez toutefois consulter http://sauvonsleclimat.org/new/spip/IMG/pdf/chauffage.pdf

Le système nucléaire français "émet" très peu de déchets nucléaires (essentiellement du Krypton 85, gaz rare qui ne se fixe pas et de période radioactive d'environ 10 ans). Les autres déchets sont gérés (et non émis) selon leur activité (très faible TFA, faible FA, moyenne MA, haute HA) et leur période radioactive (durée de vie) (moyenne (inférieure à 30 ans), longue VL). Tous les déchets de durée de vie moyenne (TFA, FA, MA) sont désormais traités de façon pérenne grâce à des sites de stockage spécifiques. Actuellement l'ANDRA recherche Un site de stockage pour les déchets FAVL qui proviennent du démantèlement des réacteurs graphite-gaz. La gestion des déchets de moyenne activité à vie longue (MAVL) et de haute activité à vie longue (HAVL) n'a pas fait l'objet d'une solution définitive. Ils sont stockés à La Hague. Ce sont eux qui devraient être stockés à partir de 2025 dans un site géologique (probablement aux alentours du laboratoire de Bures). Des documents concernant les caractéristiques principales d'un tel site peuvent être consultés (avec fruit pour ceux qui reconnaissent ne pas tout savoir sur le sujet) dans la liste de référence ci-dessous.

On peut toutefois rappeler quelques faits.
 1. La dangerosité des déchets est inversement proportionnelle à leur durée de vie
 2. Le retraitement des combustibles usés permet de gagner environ un facteur 20 sur le volume des déchets HAVL, à condition de considérer l'uranium et le plutonium de retraitement comme des ressources (en particulier dans la perspective d'utiliser des réacteurs sur générateurs de Génération IV à partir de 2030-2040.
3. Dans le cas du retraitement la radiotoxicité des déchets devient inférieure à celle de l'uranium qui a été nécessaire pour les produire au bout de 10000 ans (100000 ans en absence de retraitement)
 4. En absence de retraitement, au bout de 1000 ans, la radioactivité des déchets nucléaires résultant du fonctionnement de 100 réacteurs pendant 100 ans serait inférieure à 1% de celle de la croute terrestre (1 km d'épaisseur sur la surface de la France. Je rappelle qu'il est question que la concentration atmosphérique du CO2 double d'ici 2100, soit 100% d'augmentation.
 5. En absence de retraitement le parc nucléaire français produirait annuellement environ 1000 tonnes de combustible usé, pour un volume d'environ 100 m3. Avec retraitement, la masse des déchets nucléaires HAVL est environ 20 fois plus faible. soit 50 tonnes. Ce chiffre est à comparer à la masse de CO2 qui serait émise si notre électricité était produite avec des centrales à charbon : 300 millions de tonnes. On voit que le stockage géologique du CO2, qu'on doit, d'ailleurs, souhaiter, posera des problèmes d'un autre de grandeur que celui des déchets nucléaires.
 6. Le plutonium et les actinides mineurs (Americium, Neptunium, Curium) parcourent des distances de l’ordre du mètre avant de disparaître. ils ne ressortiront jamais.
7. L’uranium pourrait ressortir dans des centaines de millions d’années tout comme l’uranium qui se retrouve dans les rivières du fait de l’érosion
8. Dans le cas du stockage des combustibles usés (cas des USA, par exemple) l’Iode 129 (très soluble dans l'eau et de période 15 millions d'années,et donc peu toxique) ressortira sûrement dans quelques centaines de milliers d’années et le processus durera, lui-même, quelques centaines de milliers d’années. Si l'iode est incorporée dans des verres de retraitement c'est plutôt nettement après le million d'années que le maximum de relâchement de l'iode aura lieu.
 9. Pour un site où l’on aurait stocké la totalité des HAVL produits par le parc français pendant 50 ans l’irradiation maximale reçue par la population à risque (vivant sur place et n’utilisant exclusivement que l’eau de la nappe phréatique) ne dépassera pas 1/10 de la radioactivité naturelle et, cela, dans quelques centaines de milliers d’années.
10. Même des évènements du genre tremblement de terre ou glaciation ne modifient pas significativement ces résultats.
11. A l’échelle de centaines de milliers d’années les mouvements tectoniques sont relativement faibles, sauf dans des endroits particuliers (Islande, par exemple)
12. La dimension du site de stockage est fixée par le dégagement de chaleur des colis. D’où l’intérêt *économique* d’un retraitement poussé susceptible de permettre la transmutation des actinides mineurs Il faut remarquer que les déchets nucléaires existent actuellement et qu'ils faut donc les gérer de toute façon.
 Le problème n'est pas quantitatif, mais qualitatif. Autrement dit, décider une sortie du nucléaire ne change pas vraiment le problème, sauf qu'elle interdira définitivement la réduction du volume de déchet par la transmutation et que les compétences qui sont absolument nécessaires pour gérer les déchets simplement entreposés (et non stockés définitivement) disparaîtront. Les Allemands doivent aussi gérer leurs déchets nucléaires. En terme de combustibles usés, ils en ont produit environ 2 fois moins que les Français. Ils ont fait retraiter leurs combustibles à La Hague pour en faire des combustibles MOx, mais, s'ils sortent effectivement du nucléaire, leurs combustibles MOx usés et leur uranium de retraitement devront être considérés comme des déchets. Au bout du compte il est bien possible que les Allemands finissent par devoir gérer un plus grand volume de déchets HAVL que les Français.

Références : SLC: Contribution de Sauvons Le Climat au Débat Public sur la Gestion des Déchets Radioactifs http://sauvonsleclimat.org/new/spip/IMG/pdf/dechets-long-final.pdf Physique d'un site géologique de stockage des déchets nucléaires http://sauvonsleclimat.org/new/spip/spip.php?article203 ANDRA: présentation générale et gestion de l'ensemble des déchets radioactifs: http://www.andra.fr/ Débat public: http://www.debatpublic-dechets-radioactifs.org/docs/pdf/docs-complementaires/andra.pdf Rapport de synthèse 2005 http://sauvonsleclimat.org/new/spip/IMG/pdf/Andra-Synthese_2005.pdf


Stank -
<[strong>2] Je vous remercie pour ces précisions détaillées concernant les déchets nucléaires et les options de traitement. Meme si j'apprécie la portée des perspectives de réutilisation des déchets actuels et futurs dans les réacteurs de futures générations (que nous ne sommes pas encore ne mesure de mettre en oeuvre, donc au sujet desquels on peut se permettre de douter de la réelle faisabilité et surtout des couts), je trouve assez peu vertueux le raisonnement selon lequel on peut (ou doit) continuer dans le nucléaire... parcequ'on a déjà des déchets à gérer de toute façon.

Par ailleurs en regardant votre tableau plus en détail on constate bien que entre énergies primaire et finale en tep/tete, la France est moins efficace que l'Allemagne: 64 % d'efficacité contre 76% en Allemagne. En résumé la France gaspille plus son énergie primaire que l'Allemagne. Cette grande différence (à niveau de développement technologique égal entre nos deux pays) a certainement à voir avec une défaillance de la gestion de la production/consommation.

Et le lien entre production et consommation est fort en France, on a poussé le chauffage électrique parcequ'on avait besoin de consommation pour construire un parc nucléaire rentable dans les années 70-80. Cette abbération énergétique est indigne voir mes remarques dans l'autre commentaire. Et justement un des gros défaut du nucléaire est qu'il n'incite pas à la réduction des consommations du tout. Structurellement le nucléaire pousse à la consommation, pour masquer ses faiblesses (inertie due à la tres grande taille et peu de flexibilité des centrales).

Pour moi le débat est plus idéologique que scientifique: pourquoi promouvoir un système électrique moins efficace (dans ses moyens de production et de consommation) lorsque d'autres systèmes le sont plus?

On a l'impression, c'est subjectif toutefois, avec le nucléaire d'être dans la fuite en avant inéluctable, alors que tous les autres systèmes même ceux émetteurs de CO2 permettent d'envisager le progrès, l'augmentation de l'efficacité, la rationalisation des consommations, il y incitent même: ils sont plus vertueux.

Réponse dHervé Nifenecker - Un mot d'abord sur la question de morale. Pour moi, ce qui est profondément immoral c'est de refuser de prendre en charge la gestion des déchets nucléaires (HAVL en particulier)en refusant leur enfouissement aussi bien que leur transmutation. Que feront les Allemands avec leurs déchets lorsqu'ils n'auront plus de personnel compétent pour les gérer? Cette situation est déjà d'actualité pour l'Italie (avec des déchets nucléaires hospitaliers et autres)

Il est vrai que la production d’électricité obéit au principe de Carnot et qu’il y a donc une importante déperdition entre énergie consommée et électricité produite. Je pense, toutefois que se focaliser sur la seule efficacité au niveau de la production d’électricité est une erreur. Le rendement (qui n’est pas la conséquence du principe de Carnot) des cellules photovoltaïques commerciales n’excède pas 15%. Est-ce une raison qui, en soi, justifierait d’abandonner cette technique ? Non, bien sûr, car l’énergie primaire (le flux solaire) ne coûte rien, et ne produit pas de CO2. Toujours dans le cas du photovoltaïque vaut il mieux développer des cellules PV ayant un rendement de 10% et coûtant 2 €/Wc ou des cellules ayant un rendement de 20% mais coûtant 5 €/Wc ? Il me semble que c’est évidemment les cellules à 2 €/Wc qui sont les plus intéressantes.

Le rendement n’est donc pas le seul critère. Compte aussi, plus sans doute, le coût économique. Le coût du combustible nucléaire (de l’ordre de 0,15 c€/kWh est très faible si on le compare au coût du gaz (environ 4 c€/kWh)ou du charbon. La problématique du nucléaire ressemble alors à celle des énergies renouvelables : il faut produire le plus possible pour rentabiliser l’investissement. C ‘est cette considération qui explique la campagne qu’avait mené EDF en faveur du chauffage électrique. Il fallait le développer pendant les heures creuses de façon à rentabiliser. un investissement dimensionné pour faire face (avec l’hydraulique) aux demandes de pointe, hors chauffage. De même, en été il fallait essayer d’exporter de l’électricité (ce qui n’a rien de honteux ; les danois le font bien vers la Suède et la Norvège avec le courant produit par leurs éoliennes sans que personne y trouve à redire).

D’autre part il faut, comme je l’ai souligné, distinguer énergie finale et énergie utile. Dans le domaine du chauffage, lorsque EDF encourageait le chauffage électrique, le rendement des convecteurs atteignait déjà 70 à 90% alors que celui des chaudières à fioul était plutôt de l’ordre de 30%. Certes les rendements actuels des chaudières à condensation atteignent 65%, et ce qui était vrai dans les années 80 ne l’est plus aujourd’hui. Il reste que l’efficacité d’utilisation de l’électricité pour le chauffage est bien meilleure que celle du gaz. Ainsi, dans l’étude faite en 2004 par l’Observatoire de l’Energie sur « 20 ans de chauffage dans les résidences principales en France de 1982 à 2002. »(1,2) on trouve que l’électricité représente 11% de la consommation de chauffage, mais qu’elle permet de chauffer 31% des logements pour 33% pour le gaz et 28% pour le fioul. En d’autres termes, le chauffage électrique est près de trois fois plus efficace que le chauffage au gaz ! La confirmation de la meilleure efficacité énergétique des logements chauffés à l’électricité est donnée par une étude du CEREN(3,4) qui montre que les maisons chauffées électriquement dépensaient, dès la mise en œuvre de la réglementation de 1989, 51 kWh/m2/an alors que celles chauffées au gaz dépensaient 136 kWh/M2/an. On pourrait penser que cette différence est uniquement due à une meilleure isolation thermique des logements chauffés à l’électricité. L’étude du CEREN montre toutefois que l’isolation n’explique que le quart de la différence. Près de la moitié de celle-ci provient de facteurs « techniques » probablement reliés à la plus grande souplesse d’utilisation du chauffage électrique (programmation individuelle de chaque radiateur, très faible inertie thermique)

Ref : (1) De l’étude de l’Observatoire de l’énergie on obtient une consommation totale de 34,7 Mtep pour le chauffage s répartissant entre 14 Mtep pour le charbon et le gaz, 9 Mtep pour le fioul et 4 Mtep pour l’électricité, le solde étant fourni essentiellement par le bois. Par ailleurs, pour les logements dotés de moyen de chauffage modernes (90% du parc en 2002) 6,5 millions sont équipés du chauffage électrique sur un total de 21,5 millions. (2) http://www.industrie.gouv.fr/energie/statisti/se_stats14.htm (3) http://www.statistiques.equipement.gouv.fr/IMG/pdf/NS129-9-12_cle71a1d9.pdf (4) http://www.industrie.gouv.fr/energie/developp/econo/textes/se_chauf.htm

Claude

[3] La mauvaise foi des anti-nucléaires m'énervent toujours un peu lorsqu'ils mettent en avant le risque à long terme de la gestion des déchets nucléaires.

Ils privilégient ainsi un risque "POTENTIEL" (excusez le pléonasme) à deux risques immédiats ou à court/moyen terme : la silicose d'une part qui fait actuellement dans le monde quelques dixaines de milliers de morts TOUS les ans (on meurt encore de silicose ACTUELLEMENT en france), et le réchauffement climatique d'autre part.

(Je ne compte pas les milliers de morts annuels par accidents du travail dans des industries lourdes comme le charbon et le pétrole. Le nombre d'accidents du travail dans la filière "uranium" est sans commune mesure.)

Cela dit, le nucléaire n'est pas LA solution, mais si on doit l'abandonner un jour (ce qui ne manquera pas d'arriver, en tous cas pour la fission), que ce soit pour des raisons claires et objectives.

Hervé Nifenecker - Je ne pense pas que la majorité des antinucléaires soient de mauvaise foi. D'une façon générale les hommes ont toujours eu plus peur de l'inconnu que du connu. Lorsque nous n'avons pas une connaissance personnelle d'un danger, nous devons nous en remettre à des "experts". Et, alors, les "prophètes d'apocalypse" (très bonne émission d'hier sur France 2) sont toujours plus écoutés et populaires que les "scientifiques" qui ne cachent ni leur doutes, ni leurs incertitudes. Notre imagination est évidemment plus stimulée par les perspectives de catastrophes que par des raisonnements difficiles à comprendre et qui demandent de faire un effort intellectuel. Ceci étant je trouve extraordinaire que les risques d'un conflit nucléaire soient aussi totalement absents du débat public. On ne parle, à ce sujet, que des risques de prolifération et, cela, essentiellement sous l'aspect d'un défaut supplémentaire du nucléaire civil. Mais la question de savoir si le traité de non prolifération est pleinement satisfaisant et ne mérite pas d'être amélioré n'est pratiquement jamais posée. La question de savoir si l'existence d'armes opérationnelles prêtes à être utilisées à tout moment est vraiment sans danger ne l'est pas non plus. Là, le danger serait-il si grand qu'on n'ose pas y penser? Qui parle des propositions de Kissinger, Shultz etc. soutenues par G.Charpak chez nous?

Irisyak - Ce qui me gène dans le nucléaire c'est que le pouvoir qui y est associé neutralise beaucoup d'initiatives et concentre les profits de toutes sortes. Il y a peu d'emplois associés et pour l'export il y a peu de personnes concernées. Le commerce extérieur de l'Allemagne est très dynamique car le nombre de commerciaux concerné est plus grand et le nombre de projets plus flexibles.