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 - Ingénieur et démographe

Auteur
Ingénieur des mines, démographe, Dominique Bidou a été directeur de la Qualité de la Vie au Ministère de l'environnement. Il est président d'honneur de l'Association HQE (Haute qualité environnementale)...

Gaz de schiste : le chant des sirènes


jeudi 05 septembre 2013

Les adversaires de l'exploitation du gaz de schiste mettent en avant ses dangers pour la biodiversité et l'eau. Mais on oublie trop sa menace pour le climat.


Voir le site de Dominique Bidou

Il est un grand absent dans les nombreux articles sur le gaz de schiste publiés ces derniers temps : l'effet de serre.

La nouvelle référence, sans doute durable, du prix de l'énergie fossile, autour de 100 $ le baril, a bouleversé les équilibres traditionnels. A ce prix-là, bien des ressources jusqu'alors inexploitables deviennent intéressantes, et les sables bitumineux ont été les premiers à bénéficier de ce constat. La recherche de ressources dans des conditions extrêmes devient attractive, et bien sûr, les faibles teneurs ou les conditions d'extraction difficiles ne sont plus des obstacles insurmontables. Les ressources « non conventionnelles » viennent abonder les réserves, et surtout elles changent la donne entre les pays producteurs. Les flux financiers liés au pétrole en sont sensiblement modifiés, la rente est répartie différemment.
Les gaz et pétroles de schistes apparaissent dans ce contexte comme une aubaine, une manière de repousser le spectre de la pénurie.

Mais, comme le chant des sirènes auquel Ulysse a su résister, ils nous éloignent de notre destination vers une société sans carbone. Ils constituent une embellie, un enchantement momentané, mais qu'il faudra payer au prix fort dans quelques années.

Le débat sur les gaz de schistes est essentiellement tourné vers la biodiversité et la pollution de l'eau. De vrais sujets, qui méritent la plus grande attention et doivent se traduire par de grandes exigences avant toute exploitation. Mais nous savons aujourd'hui qu'en matière d'énergie,  l'enjeu majeur de nos sociétés, en ce 21e siècle, siècle de tous des dangers, est de se passer du carbone. Nous n'en prenons pas le chemin. Dans le monde, nous dépensons 7 fois plus d'argent à soutenir les énergies fossiles qu'à aider les renouvelables . Et voici le gaz de schiste ! Excellente occasion de reporter à plus tard la conversion au « post carbone ».  Mais aussi une impasse redoutable, analogue au détour que le chant des sirènes provoquait.

Un faux "ballon d'oxygène"

Le gaz de schiste peut aider les Etats à dépasser leurs problèmes d'aujourd'hui, mais à quel prix pour demain ? Pendant le temps que ce « ballon d'oxygène » durera, la concentration de l'atmosphère en gaz à effet de serre augmentera, et le nécessaire apprentissage d'un monde sans carbone restera en panne. L'argument selon lequel ce gaz pourrait se substituer au charbon et participer à la recherche d'efficacité énergétique semble assez léger et contredit par les faits. Le charbon économisé aux Etats-Unis est vendu à prix compétitif dans d'autres parties du monde, et le pari de la sagesse des nations serait bien hasardeux. Toutes les ressources aisément accessibles ont vocation à être exploitées, et les nouveaux gisements d'énergie fossile rendus exploitables viendront s'ajouter aux anciens.

L'attirance qu'exerce le gaz de schiste est le fruit d'une compétition internationale. Baisse des prix et indépendance énergétique sont les maître-mots. Pourquoi pas, s'ils conduisent vers l'avenir, baisse des prix par suite d'une meilleure efficacité de l'énergie, et production locale grâce au vent, au soleil, à la géothermie, à l'hydraulique, à la mer et surtout à la biomasse. Mais le recours à des énergies fossiles va dans le sens opposé. La responsabilité est grande des nations qui se lancent dans l'exploitation massive de ces ressources, et qui, du fait de la concurrence internationale, obligent les autres à les suivre, si elles ont la « chance » de disposer de cette manne inespérée. Les générations futures seront sévères à l'égard  de ceux qui auront succombé au chant des sirènes.

La France, son président et son gouvernement, résistent à cette tentation, malgré les pressions d'un monde économique soumis aux exigences du court terme. Une position de sagesse qu'il faut saluer. On ne résout pas les problèmes avec l'état d'esprit qui les a créés, disait Einstein. On n'entre pas dans l'avenir avec la culture du passé.

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8 commentaire(s)
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Commentaire par papijo
jeudi 05 septembre 2013 20:30
Dommage pour l'auteur que les faits démentent ses affirmations. On peut facilement le vérifier à partir des données publiées sur internet. Comparons les Etats-Unis et l'Allemagne. Les Etats-Unis ont peu développé les énergies renouvelables et ont massivement produit du gaz de schiste. Le prix du gaz de schistes est devenu inférieur au prix du charbon et les américains ont commencé à produire leur électricité avec le gaz de schistes beaucoup plus performant. Résultat: leur production de CO2 a baissé (et le prix de l'électricité aussi !) L'Allemagne, au contraire, a massivement investi dans les renouvelables. Mais voilà, quand le temps est nuageux ou la nuit, le solaire ne produit pas, et quand il n'y a pas de vent, les éoliennes non plus. Il faut donc maintenir en activité des centrales au charbon qui ont un très mauvais rendement quand elle tournent au ralenti pour servir de secours les heures sans renouvelables. Résultat: leur production de CO2 a augmenté (et bien sûr le prix de leur électricité aussi !). De plus la limitation du nucléaire n'a pas arrangé les choses.

[Réponse de l'auteur]
Les faits ne démentent rien, puisqu'il faut se placer dans la durée. Le gaz de schiste se retrouvera inévitablement dans l'atmosphère, en plus du charbon auquel il s'est substitué un temps. Tout retard dans l'abandon progressif des énergies carbonées se paiera un jour, et le gaz de schiste a le redoutable effet de le faire oublier. Le chant des sirènes, qui conduisait les navires sur les récifs....
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Commentaire par papijo
jeudi 05 septembre 2013 22:37
Alors, essayons de nous mettre d'accord sur le moyen de produire notre électricité pendant les 40 prochaines années (en admettant que ce soit la durée de vie des gisements de ce gaz) avec des technologies qui fonctionnent. La seule technologie au stade industriel pour stocker l'électricité est le "transfert d'énergie par pompage". La totalité des STEP françaises (merci Wikipedia) a une puissance de seulement 4,2 GW pour une autonomie de quelques jours (Le pic de consommation de la France a été de 102 GW en février 2002). Malheureusement, il n'y a plus tellement de sites disponibles pour en installer de nouvelles et toute leur capacité de variation de charge, ainsi que celle des centrales hydrauliques à réservoir et des centrales nucléaires sont déjà réservées aux variations de la consommation d'électricité. La puissance installée fin 2012 en renouvelables* est de 11 GW (7,5 GW en éolien et 3,5 GW en solaire). Même en doublant notre capacité en STEP, on voit tout de suite que la seule possibilité de contrer les chutes de production des renouvelables est de recourir à des unités à flamme (gaz ou charbon, le fioul étant réservé aux transports), comme le fait l'Allemagne actuellement ... et donc d'augmenter les émissions de CO2. Il n'y a pas d'autre solution, à moins de vouloir retourner au Moyen-Age en vivant sans électricité ! (*)Renouvelables: Pour la clarté de ma réponse j'appelle ici "renouvelables" uniquement l'éolien et le solaire (je n'ai pas osé les qualifier d'"énerg

[Réponse de l'auteur]
Il ne fgaut pas penser qu'électricité, et ne pas réduire les renouvelables au solaire et à l'éolien, énergies intermittentes, alors que les plus importantes aujourd'hui sont la biomasse et l'hydraulique, que l'on sait mobiliser quand on en a besoin. Et puis, bien sûr, l'efficacité énergétique, rendre plus de service avec moins d'énergie consommée. On a fait d'énormes progrès pour l'éclairage, par exemple, et il reste des gisements considérables dans différents domaines. Mais on ne fera pas croire qu'une solution qui reporte le problème de l'effet de serre et l'aggrave est une vraie solution. La question est plus complexe, Elle demande en effet des invetsissements technologiques, mais il vaut mieux les faire pur les techniques du futur que celles du passé.
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Commentaire par papijo
jeudi 05 septembre 2013 22:40
Je reproduis la note qui terminait ma réponse ("censurée" par le cécompte des caractères !) (*)Renouvelables: Pour la clarté de ma réponse j'appelle ici "renouvelables" uniquement l'éolien et le solaire (je n'ai pas osé les qualifier d'"énergies fatales intermittentes", terme pourtant mieux approprié)
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Commentaire par papijo
vendredi 06 septembre 2013 11:52
On en revient donc au vrai débat: Y a-t-il des solutions qui permettent de se passer dans un avenir proche des énergies fossiles (nucléaire compris) tout en maintenant notre "niveau de confort" actuel ? Les solutions que vous évoquez ne marchent pas. Le remplacement des ampoules n'a pas empêché la consommation d'électricité d'augmenter. La production hydraulique ne peut pas s'accroitre beaucoup. Pour ce qui concerne la biomasse, les 4 appels d'offre lancés par la CRE de 2004 à 2010 pour une capacité de 1000 MW ont conduit à la mise en place de combien de MW à ce jour (si on met de côté le remplacement des chaudières de la papeterie de Facture-Biganos) ? La recherche de l"efficacité énergétique" non plus (pas plus en France qu'en Allemagne). La seule chose qui fasse baisser notre consommation, c'est le transfert des productions de nos pays vers les pays émergents, évidemment sans effet au niveau mondial. A part le fossile + nucléaire, je ne vois rien !

[Réponse de l'auteur]
Si la solution était simple, ça se saurait ! Les scénarii de type "Negawatt" donnent des orientations intéresantes, et tout le monde s'accorde sur l'idée qu'il n'y a pas une solution miracle, mais un ensemble de dispositions complémentaires à prendre, et que les modes de vie devront évoluer. L'objet de mon article n'est pas de trouver la voie de sortie, je n'ai pas cette ambition et personne n'a à soi tout seul la réponse, qui reste à trouver collectivement. Je veux juste alerter sur une "fausse bonne idée", à savoir une solution qui permet de s'en sortir sur le moment mais qui nous éloigne de la vraie solution, qui fonctionnera dans la durée. Evitons de tomber dans le syndrome : les solutions d'aujourd'hui sont les problèmes de demain !
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Commentaire par un physicien
vendredi 06 septembre 2013 12:15
Le scenario NEGATEP de Sauvons le climat est beaucoup plus sérieux que Negawatt. http://www.sauvonsleclimat.org/best-of-slchtml/diviser-par-quatre-les-rejets-de-co2-dus-a-lenergie-le-scenario-negatep/35-fparticles/465-diviser-par-quatre-les-rejets-de-co2-dus-a-lenergie-le-scenario-negatep.html
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Commentaire par papijo
vendredi 06 septembre 2013 15:13
Comme vous le dites, personne n'a la solution pour maintenir ou améliorer le niveau de vie de nos concitoyens tout en réduisant fortement les émissions de CO2. Reste donc à se poser la question de la pertinence de cette lutte contre le CO2. La relative stabilité des températures depuis 1998 malgré la forte augmentation des émissions de CO2 et autres GES devrait logiquement nous conduire à relativiser les propos alarmistes au sujet du réchauffement, d'autant plus que l'action dans ce domaine des seuls pays européens n'a presque aucune incidence sur les émissions mondiales. Concernant les gaz de schistes, il faudrait peut-être chercher où est notre intérêt. Après tout, les Allemands ne se gênent pas quand un projets de baisse obligatoire des émissions de CO2 par les voitures risque de nuire à la compétitivité de Mercedes, BMW ... pour le faire capoter.
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Commentaire par Defdefred
lundi 09 septembre 2013 11:03
Si je ne me trompe pas le "confort" que l'on réclame est d'avoir chaud l'hiver et pas trop chaud l'été... Rien à voir avec un retour au moyen age! Les solutions techniques sont connues depuis toujours et il ne manque que la volonté politique de s'opposer aux lobbies de l'énergie. L'isolation extérieure de l'habitat et les bonnes pratiques de lutte contre la chaleur (le bon sens) est la future réponse au confort et au chômage. Elle permettra de supprimer le chauffage électrique et la climatisation. Mais bien sûr EDF, n'est pas trop intéressé. (pensez à changer de fournisseur, pour passer au renouvelable, c'est moins cher que de rester chez le dinosaure). Les panneaux solaire thermiques sont aussi formidable et non polluant maintenant avec les système à eau sans glycol (drain-back) Mais pitié, pas de réduction d'impôt qui font gonfler les prix! Il faut plutôt donner des subventions aux entreprises sans que le client ne soit impacté!
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Commentaire par patrig k
jeudi 12 septembre 2013 07:30
Gaz de schiste aux USA ! Aux États-Unis, l?exploitation du gaz de schiste aux Amériques, du bas coût de court terme à l?extrême coûteux pour le long terme, et du surplus de CO2, Extrait : [ ... un ancien directeur stratégie du groupe Total, Pierre-René Bauquis, tranchait l'an dernier dans Le Monde : "Si on trouve dix ou vingt cas analogues au Dakota du Nord sur la planète, cela ne rehaussera le pic [pétrolier] que d'environ 5 millions de barils par jour, et n'en reculera la date que de quatre à cinq ans." ...] "L?avenir des gaz de schiste et le sens de l?Histoire" par Matthieu Auzanneau , blog Man Oil Le Monde 14.3.13
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