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Stéphane Lhomme, 45 ans, est président de l'Observatoire du Nucléaire. De septembre 2002 à février 2010, il a été porte-parole du réseau Sortir du nucléaire. Titulaire d'un DEA en sociologie,...

La future centrale égyptienne : info ou intox ?


lundi 30 août 2010

En laissant entendre qu'elle va se doter d'une centrale nucléaire pour fournir ses habitants en électricité, l'Egypte cherche en fait un effet d'annonce. Raison de cette tentative énergétique: la crainte politique de l'Iran.


Mercredi 25 août 2010, l'AFP diffuse une dépêche titrée "L'Egypte choisit le site de sa première centrale nucléaire" et dans laquelle on peut lire que le site de "Al-Dabaa sera l'emplacement de la première centrale électrique fonctionnant à l'énergie nucléaire en Egypte".

Or, il y a deux ans et demi, le 10 janvier 2008, l'AFP éditait une dépêche titrée... "L'Egypte choisit un site pour implanter sa première centrale nucléaire". On apprenait alors que le site en question était... Al-Dabaa.
 
On constate donc aisément - à condition d'avoir des archives à jour ! - que l'annonce du 25 août ne correspond à rien de réel, mais qu'elle relève de la communication politique. Car l'AFP ne fait que rendre compte des annonces faites officiellement par les dirigeants égyptiens.
 
Il n'a échappé à personne que l'Iran a lancé cette semaine, avec tambours et trompettes, le chargement de sa centrale nucléaire de Bushehr. Il est évident que l'annonce égyptienne ne vise qu'une chose : sauver la face en prétendant que "nous aussi, nous sommes capables d'avoir une centrale nucléaire".
 
La crainte de l'Iran

De toute évidence, les dirigeants égyptiens sont plus inquiets de la montée en puissance - nucléaire et géostratégique - de l'Iran que du voisinage d'Israël qui possède pourtant des installations et des armes nucléaires depuis fort longtemps. Le fait est qu'Israël est destinée à rester largement voire totalement isolée au Proche-Orient, alors que l'Iran gagne du terrain.
 
Politiquement, le pays qui annonce qu'il va "bientôt" avoir une centrale nucléaire est censé se donner du prestige, en affichant une compétence technologique qui est pourtant bien virtuelle car seulement détenue par le pays fournisseur : ouvrir son carnet de chèque ne signifie pas maîtrise technologique.
 
En outre, signifier que l'on progresse sur le plan du nucléaire "civil" laisse entendre que ces progrès concernent peut-être, secrètement, le nucléaire militaire.
 
La communication égyptienne est principalement destinée à l'opinion publique car elle n'a aucune chance de tromper les dirigeants des autres pays - Iran et Israël en tête - dont les services secrets surveillent continuellement le dossier nucléaire : contrairement à l'Iran, qui s'est donné de longue date des objectifs et des moyens concernant le nucléaire, et qui maîtrise parfaitement l'enrichissement de l'uranium, l'Egypte est quasiment au niveau zéro.
 
Mais même si c'était  vrai....

Plaçons nous néanmoins dans l'hypothèse où la centrale nucléaire annoncée verrait effectivement le jour.
 
1) ce ne serait en rien une garantie d'indépendance énergétique : cette centrale "égyptienne" serait construite par un pays tiers, vraisemblablement les USA, dont les techniciens seraient indispensables pour faire fonctionner la centrale et qui fournirait par ailleurs le combustible approprié. Il n'est pas difficile de comprendre que le pays fournisseur aurait alors de terribles moyens de pression politique sur l'Egypte, contrainte d'obéir aux consignes données sous peine de voir "sa" centrale nucléaire à l'arrêt. (*)
 
2) la dépêche AFP nous apprend qu' "aujourd'hui la population est victime, surtout en été, de longues et fréquentes coupures de courant dues à un réseau ancien et insuffisant." Or il n'y a rien de plus absurde que vouloir insérer une centrale nucléaire dans un réseau électrique "ancien et insuffisant". La production électrique nucléaire, extrêmement centralisée, serait quasiment impossible à écouler et transporter. Certes, il est possible de rénover ce réseau mais il faut savoir que de tels travaux coûtent pratiquement aussi cher que la centrale elle-même, voire plus suivant l'état du réseau en question.
 
Lueur d'espoir

Finalement, une lueur d'espoir transparaît quand même dans la dépêche : "Le pays ambitionne également de produire 20% de son électricité à partir d'énergies renouvelables (solaire, éolienne) d'ici 2020." Investir dans les énergies renouvelable, voilà qui apparaît beaucoup plus réaliste. Ce serait pour le coup un réel vecteur d'indépendance énergétique, et donc politique et géostratégique. Les risques et les déchets radioactifs en moins.
 
Mais il est vrai que les éoliennes et les panneaux solaires ne sont pas encore porteurs de prestige pour ceux qui préfèrent encore jouer les "Tartarins radioactifs"...
 
Photo :  FShariff Che'Lah - Fotolia
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Stéphane Lhomme, 45 ans, est président de l'Observatoire du Nucléaire. De septembre 2002 à février 2010, il a été porte-parole du réseau Sortir du nucléaire. Titulaire d'un DEA en sociologie,...

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