Participez aux débats sur l'énergie de demain
 - Président fondateur de Sauvons Le Climat

Auteur
Ingénieur et docteur ès sciences, Hervé Nifenecker est Président fondateur du collectif  Sauvons le Climat, qu'il a créé en 2004. Il s'exprime sur "la chaîne Energie" à titre personnel...

Taxe carbone : c'est toute la classe politique qui s'est décrédibilisée


jeudi 01 avril 2010

Nicolas Sarkozy comparait la création de la taxe carbone à l'abolition de la peine de mort, avant de reporter, sine die, son entrée en vigueur. Comment expliquer ce changement de cap? Les explications d'Hervé Nifenecker.



Le gouvernement a annoncé qu’il renonçait à la mise en oeuvre de la taxe carbone en attendant que les autres états européens décident de la mettre en application, et que soit instituée une taxe carbone à la frontière. En fait, ces conditions n’ont pratiquement aucune chance d’être remplies. 

L'instauration d'une taxe Carbone à la frontière européenne serait sans doute re-toquée par l'OMC.


De plus, sur quel critère l'établir?


Le plus juste serait sans doute la quantité de CO2 émis par habitant. D'après l'AIE (Agence Internationale de l'Energie), les émissions sont de 10,97 tonnes de CO2 par habitant pour l'ensemble des pays de l'OCDE (5,81 pour la France, 9,71 pour l'Allemagne, 9,68 pour le Japon, 19,10 pour les USA) mais seulement de 4,56 pour la Chine. Il serait donc légitime que ce soit la Chine qui ait le droit de prélever une taxe à ses frontières sur les pays de l'OCDE. S'il s'agit pour les 27 Etats de l'Union de se mettre d'accord sur un montant de taxe commune, on peut craindre que l'unanimité nécessaire en matière de fiscalité ne soit jamais atteinte.



Il s’agit donc bien d’une décision de renoncement pure et simple, sans analyse sérieuse et dans la précipitation, pour des raisons de politique politicienne. A juste titre, Michel Rocard considère que le gouvernement aurait pu conditionner la mise en place de la taxe carbone à une accélération de la mise aux enchères des quotas au niveau européen. On doit saluer, au passage, la prise de position très claire et pédagogique de l’ancien Premier Ministre faite sur France Inter (le 24 mars) et dans « Le Monde ».  De même, on apprécie à sa juste valeur le courage de Madame Jouanno, qui a regretté la prise de position du gouvernement en termes particulièrement sentis.

Dans cette affaire, le gouvernement n’est pas le seul à s’être décrédibilisé :

 

•    Le Parti Socialiste s’est opposé dès le départ à la taxe carbone en lui reprochant d’être socialement injuste, mais en « oubliant » que la redistribution intégrale du produit de la taxe prélevée sur les particuliers sous forme de chèques « verts »  la transformait, en réalité, en système de bonus-malus à somme nulle et lui donnait un rôle  plutôt re-distributeur dans la mesure où, en moyenne, les forts revenus consomment plus de combustibles fossiles que les faibles. Rien n’empêchait le PS de chercher à améliorer les décrets d’application. La politique "politicienne" a pris le dessus et on ne peut que le regretter.



•    Les Verts et Europe Ecologie ont fait la fine bouche en exigeant une taxe plus lourde et en dénonçant la non-taxation de l’électricité et les diverses dérogations. Comme on pouvait s’y attendre, cette surenchère joua le rôle du pavé de l’ours. Pourquoi ne pas avoir soutenu la taxe en la considérant comme une première étape ? Plus pur que nous tu meurs….



•    Le MEDEF fit preuve, en cette occasion, d’un aveuglement coupable. En effet, si le montant de la taxe prélevée sur les entreprises hors quota avait été remboursé sous forme d’allègement de charges sociales leur compétitivité, loin d’en être menacée, eut été améliorée ! 



•    Plutôt que de se mettre vent debout contre la taxe, les agriculteurs et les pêcheurs auraient pu demander que les agro-carburants leur soient réservés, ce qui les aurait mis à l’abri des fluctuations du prix du gazole.

Il est clair que, après les déclarations péremptoires du Président de la République comparant l’institution de la taxe carbone à l’abolition de la peine de mort, l’abandon de la taxe ôtera beaucoup de leur poids aux interventions de la France dans les discussions climatiques.

Ceci est d’autant plus regrettable que, de par son mix électrique peu émetteur de CO2 (90% de notre électricité est produite sans émission de CO2), l’efficacité d’une taxe carbone aurait été particulièrement grande dans notre pays. Par exemple, le développement d’un parc de voitures électriques aurait un impact immédiat sur nos émissions de CO2, au contraire de ce qui pourrait se passer dans des pays comme l’Allemagne, où l’électricité est essentiellement produite par des centrales à charbon. La même chose peut être dite d’un passage du chauffage au fioul et au gaz au chauffage électrique (autant que possible avec pompe à chaleur).

En fin de compte, comme l’a dit Michel Rocard, une augmentation du prix des combustibles fossiles est inéluctable.

Renoncer à la taxe carbone, c’est reculer pour mieux sauter.

4 commentaire(s)
[1]
Commentaire par Nicolas Goldberg
jeudi 01 avril 2010 09:47
"en « oubliant » que la redistribution intégrale du produit de la taxe prélevée sur les particuliers sous forme de chèques « verts » la transformait, en réalité, en système de bonus-malus à somme nulle"

Certes, mais les critères de "redistribution" n'était absolument pas défini. Ce projet de loi a éé mis en place sur un effet d'annonce en six mois sans prendre le temps de savoir à quoi s'appliquerait la taxe (ce qui a conduit à en exonérer 93% des émissions hors transport) ni de comment la redistribuer... d'où son abandon.

Une taxe carbone, pourquoi pas ! Mais il conviendrait de réfléchir en amont à ces points avant de voter une loi.

[Réponse de l'auteur]
Jusqu'à présent une loi n'est mise en oeuvre que par des décrets d'application. Sur des points précis et techniques c'est là qu'aurait dû avoir eu lieu une concertation plus approfondie.
[2]
Commentaire par alrog
jeudi 01 avril 2010 12:43
Si l'on exclut le Président et le gouvernement, on ne voit pas en quoi "la classe politique" est plus discréditée que la nébuleuse des experts et fondations qui ont cautionné le Grenellisme et la sur-médiatisation d'un consensus chancelant. Si les députés ne peuvent pas légiférer calmement sur l'énergie et l'environnement en ayant entendu les experts et étudié les dossiers, c'est qu'il faut passer directement à une VI-ème république (au moins). L'édifiant feuilleton de la TC appelle à de nouvelles pratiques redonnant au contraire le pouvoir confisqué au législateur. Les experts doivent être entendus s'ils sont reconnus sur le plan international dans le domaine sur lequel ils s'expriment, s'ils s'appuient sur des études sérieuses et s'ils rendent publique leur dépendance aux groupes industriels. Les experts sont apparus comme souvent liés à des intérêts ou idéologies identifiés. On ne sait pas comment ils sont rémunérés.

La TC esquissée ne proposait pas de solution rationnelle et généralisable hors France, ignorait le problème des échanges aux frontières et n'annonçait aucun effet tangible vérifiable objectivement. Le système de compensation prévu était une usine à gaz illisible.

NB. Je crois que les ratios tCO2/habitant cités ne comptent pas les imports/exports de carbone (commerce extérieur)? Cela crée évidemment un fort biais dans une comparaison France-Allemagne (cf. mon comment. à un article précédent), et nous ramène à la fameuse TC "aux frontières

[Réponse de l'auteur]
Justement, vous le dites vous-même, les experts n'ont pas le pouvoir politique. En ce qui concerne le Président et le gouvernement on voit bien qu'ils ont fait machine arrière à la suite des pressions, entre autres, des députés UMP affolés par l'impopularité de la taxe (mal nommée d'ailleurs, puisque ne devant, en principe, rien rapporter à l'état). Et cette impopularité avait été construite grâce à toutes les critiques qui visaient plus le Président que ses actions et propositions. Au départ la taxe était simple: pour les particuliers un chèque "vert" universel (est-ce plus compliqué que les myriades de crédits d'impôts?) Pour les entreprises non parties à l'ETS européen, il avait été suggéré à plusieurs reprises d'utiliser la taxe pour alléger les charges sociales. Cela aussi était facile à mettre en oeuvre. Mais les intérêts particuliers ont vite créé une forte opposition, d'où des exceptions dans tous les sens. Remarquons que nous n'aurons pas la taxe mais que nous aurons l'augmentation du prix des combustibles, à commencer par celle du gaz. Et là, silence dans les rangs... La taxe à la frontière me semble bien difficile à mettre en oeuvre: quel critère choisir? Les émissions par tête des pays exportateurs? la Chine serait alors bien traitée. En fait tout le monde sait que la meilleure façon de rendre les entreprises françaises plus compétitives c'est de financer une partie des charges sociales par une TVA "sociale". Mais personne n'a le courage de le faire (Eric Besson devait le faire, feu de paille). En ce qui concerne les ratios tCO2/hab, effectivement, on ne tient compte que du CO2 (ou des GES) produit en France. Il serait, en effet, normal que les faibles émetteurs soient favorisés par rapport aux autres.
[3]
Commentaire par alrog
vendredi 02 avril 2010 07:33
Les pays faiblement émetteurs ne doivent pas être favorisés s'ils importent massivement du carbone: c'est un des problèmes de la TC. Taxons en France les employés d'une fabrique d'outils F: à terme, il faudra augmenter les salaires ou voir diminuer les recettes de l'Etat. On donne au moins à court terme un avantage évident au marteau importé. On améliore le "bilan carbone" français artificiellement, en baissant la production de F.

La comptabilité du carbone à des niveaux bas n'est tout simplement pas possible techniquement: une TC mondiale repose sur du sable. Qui peut évaluer le contenu carbone d'un marteau? Nous ne savons pas taxer les marchandises fabriquées par des enfants faute de tracabilité/contrôle; comment pourrions-nous taxer celles qui ont trop de carbone?

La France, élève très moyen en matière d'environnement peut se donner des objectifs simples et contrôlables: atteindre une intensité énergétique correcte, ne plus figurer parmi les champions d'Europe en km voiture/hab, etc. Avant de taxer, il vaut mieux (il faut) supprimer les subventions à la pollution/consommation. Et elles sont nombreuses. La TC n'y mettait pas fin, au contraire.

[Réponse de l'auteur]
Je suis en total désaccord avec votre point de vue. Ce qui doit être taxé ce sont les combustibles fossiles là où ils sont utilisés (proposition intelligente de James Hansen). C'est simple à faire. Au contraire, il est difficile et arbitraire d'allouer à chaque produit son contenu en CO2, surtout dans le contexte de mondialisation. Quand vous parlez intensité énergétique, parlez vous d'énergie finale ou d'énergie initiale? Le concept même d'intensité énergétique (rapport de la consommation d'énergie au PIB) est d'ailleurs discutable: les riches peuvent dépenser davantage d'énergie. Le seul concept qui ait un sens, à mes yeux, est la quantité de GES par tête pour un pays ou en ensemble de pays donné. Et là, la France n'est pas trop mal placée. Si on se concentre sur le CO2 l'AIE donne 5,1 tCO2/tête pour la Suède, 5,81 pour la France, 9,24 pour le Danemark, 9,71 pour l'Allemagne, les deux derniers pays étant les exemples dont on nous rebat continuellement les oreilles (à cause de leurs éoliennes en particulier). L'intensité énergétique (primaire) du Danemark est de 0,11 tep/k$, celle de la Suède de 0,17, celle de la France de 0,15 et celle de l'Allemagne de 0,14. Etrange! Ceux qui émettent le plus de CO2/tête sont ceux qui ont les intensités énergétiques les plus faibles...
[4]
Commentaire par alrog
vendredi 02 avril 2010 17:31
Vous êtes contre la taxation aux frontières?

La solution optimale pour le critère CO2/hab consiste ... à ne plus rien produire, et à tout importer. Nous n'aurons plus alors aucune émission industrielle sur "notre tête". Avec nos 1000 euro/hab/an de déficit du commerce extérieur en croissance, nous sommes bien partis. Nous pouvons nous améliorer en nous chauffant avec des meubles venus d'Asie...

Un objectif raisonnable pour un pays donné est -à production de richesse "comptable" constante- de minimiser la consommation d'énergie primaire non-renouvelable. L'énergie primaire renouvelable n'est d'ailleurs pas complètement évaluable (ex. solaire thermique). Les intensités énergétiques classiques par secteur et surtout leur évolution au cours du temps sont de bons indicateurs des efforts réalisés.

De manière cynique, exporter sa pollution peut présenter un intérêt réel, mais pas dans le cas des GES, puisque ceux-ci sont un effet planétaire.


[Réponse de l'auteur]
Au niveau mondial, l'industrie ne participe qu'à 25% des émissions de CO2. Le secteur énergétique à 46% (production d'électricité 33% et raffinage 13%). Lorsque vous dites que "à production de richesse "comptable" constante- il faut minimiser la consommation d'énergie primaire non-renouvelable", je suis d'accord avec vous en remplaçant "non renouvelable" par fossile. En d'autres termes je crois que se priver de la contribution du nucléaire, c'est vouloir battre le record du 100 m avec un sac de 50 kg sur le dos.
PARTICIPEZ !
Cet espace est le vôtre !
La chaîne Energie de LExpansion.com
vous ouvre ses colonnes. Partagez vos analyses !