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   Anne Lapierre est avocate spécialisée dans les dossiers énergétiques et environnementaux.Titulaire de deux masters de Droit Européen et Communautaire depuis 1991, elle est également diplômée d'un master...

"C'est un manque de visibilité qui a tué la taxe carbone"


vendredi 26 mars 2010

Le feuilleton de la taxe carbone s'est clos sur un échec. Anne Lapierre, juriste spécialisée en Droit Européen, revient sur les raisons économiques et juridiques qui ont amené à son report.


La chaîne Energie : François Fillon a annoncé hier le report de la taxe carbone. Avez-vous été surprise par cette décision ?

Anne Lapierre : Du point de vue juridique ou économique, pas tellement. Il n’était pas aisé pour le gouvernement d’aller de l’avant alors que la France traverse une crise économique grave et que l’une de ses plus hautes juridiction, le Conseil Constitutionnel, vient de censurer son projet de loi !

Le Premier ministre explique qu'il ne veut pas plomber la compétitivité des entreprises françaises et que la taxe carbone doit se faire au niveau européen.Que pensez-vous de ces arguments ?

Je suis assez en accord avec cette position. Les entreprises françaises, surtout les PME et PMI, ont été très durement atteintes par la crise économique et financière. Alors, leur ajouter une taxe au moment elles luttent pour leur survie me paraît difficilement acceptable. D’autant qu’en France les entreprises sont déjà très taxées.

Au-delà des difficultés conjoncturelles, c’est aussi le manque de visibilité qui a fait très peur aux entreprises. Il ne faut pas oublier que la taxe carbone est, à l’origine, ce qu'on appelle un signal-prix destiné à «éduquer» les citoyens : l’idée étant que le prix à la consommation de l'énergie soit suffisamment élevé pour conduire à de nouveaux comportements qui aient pour effet de faire diminuer la consommation. Pour y parvenir, le gouvernement a décidé de taxer ménages et entreprises à hauteur de 17 euros la tonne de CO2 émise -un prix beaucoup moins élevé que celui préconisé dans le rapport Rocard qui préconisait 32 euros puis une augmentation progressive jusqu’à 100 euros- en précisant bien que cette taxe serait amenée à augmenter, sans dire de combien. Comment les entreprises peuvent-elles, dans un tel cadre, établir leurs business-plans sur plusieurs années? La taxe carbone est un véritable casse-tête : si on met en place une taxation trop faible, la taxe ne servira à rien, et, si on place la barre trop haut, les entreprises augmenteront leur prix pour récupérer leur marge et risquent donc de devenir moins compétitives que les entreprises implantées hors deFrance !

Comment expliquer que la Suède ait pu mettre en place une taxation similaire ?

Les pays nordiques sont des gros producteurs d’hydrocarbures, qui ont pu, grâce aux rentes liées à leur revente, financer le reversement des taxes sur les émissions de CO2. En France, trouver une source de financement me paraît plus difficile.

Le gouvernement ne se cache-t-il pas derrière la nécessité d’une harmonisation européenne pour masquer son échec politique ? Cette harmonisation est-elle vraiment envisageable ?

Je ne suis pas juge de la volonté politique. Cependant, en tant que juriste spécialisée dans le droit européen, je suis bien placée pour affirmer que la création d’une taxe carbone européenne ne se fera pas du jour au lendemain, car, en Europe, toute création fiscale est soumise à un vote à l’unanimité. L’Europe ne parvient déjà pas à harmoniser les taux de TVA… alors, la "taxe carbone européenne", il ne faut pas rêver ! Mais il ne faut pas oublier qu’il existe déjà des règles qui encadrent les émissions de CO2 des Etats-Membres : le marché européen du carbone fonctionne très bien et les entreprises les plus polluantes (ndlr : les 1018 sites industriels qui produisent 93% des émissions industrielles de CO2 du pays) sont déjà assujetties à des taxes.

Quid de l’idée d’une taxation aux frontières ?

L’idée d’une taxation aux frontières n’est pas une mauvaise idée en soi, cependant, nous ne pourrons pas en décider unilatéralement. La France adhère à un marché de libre échange : si elle taxe les produits qui arrivent sur son territoire au motif qu’ils proviennent de pays émetteurs, cela revient à mettre en place une mesure de protectionnisme économique qui sera forcément censurée par la Commission Européenne.

Propos recueillis par Léa-Sarah Goldstein

4 commentaire(s)
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Commentaire par alrog
vendredi 26 mars 2010 16:33
Une petite question à laquelle beaucoup de spécialistes de la taxe carbone refusent de répondre.

Comment peut-on de manière rationnelle attribuer un contenu objectif à deux produits identiques issus d'un même pays, sachant que l'un peut avoir été produit avec des énergies renouvelables, l'autre avec pétrole charbon etc. Bref: comment un douanier voyant arriver un conteneur de produits manufacturés pourra-t-il taxer celui-ci?
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Commentaire par Carbone
samedi 27 mars 2010 13:37
Cette taxe était pourtant juste et nécessaire ... C'est incompréhensible que les politiques ne soient pas capables d'expliquer les chose simplement. La gauche qui a critiqué de façon partisane et stupide la taxe carbone peut avoir honte de s'être comporté ainsi.
La taxe carbone sur mon blog.
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Commentaire par Carbone
samedi 27 mars 2010 13:40
@alrog .. La taxe carbone ne concernait que les énergies fossile : produits pétrolier, gaz, charbon ...
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Commentaire par alrog
samedi 27 mars 2010 16:15
@Carbone

J'évoquais bien sûr non pas une taxe sur le pétrole et le gaz (qui correspond plutôt à une TIPP élargie), mais une taxe carbone "aux frontières", celle supposée remédier au problème de concurrence que l'on reconnait aujourd'hui. Ou simplement une taxe qui cherche à couvrir une proportion importante des émissions de GES, ce qui n'était pas le cas de la taxe française.
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   Anne Lapierre est avocate spécialisée dans les dossiers énergétiques et environnementaux.Titulaire de deux masters de Droit Européen et Communautaire depuis 1991, elle est également diplômée d'un master...

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